Voici trois ans, j’avais lancé une idée, appuyée d’abord par une pétition adressée à Nicolas Sarkozy (et signée par plusieurs centaines de personnes qui partageaient mon avis) puis par un livre, Le nègre vous emmerde. Pour Aimé Césaire, afin que l’auteur du Discours sur le colonialisme, même symboliquement, puisse recevoir de la nation française l’hommage posthume suprême : l’entrée au Panthéon. C’était une bonne idée, je crois, puisqu’elle m’avait tout aussitôt été volée par Ségolène Royal. Je ne l’aurais d’ailleurs jamais proposée si Césaire ne m’avait lui-même confié qu’il avait suivi à la télévision l’entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas et si je n’avais su qu’il avait voté la panthéonisation de Félix Eboué. Mais pendant trois ans, point de nouvelles du château. Et voici que Nicolas Sarkozy a pris une décision que l’on pourrait interpréter comme une réponse à ma demande : il s’apprête à dévoiler, au Panthéon, une plaque consacrée à Aimé Césaire, puisque je reçois, le 1er avril…, d’une agence en communication agissant sous le nom de code « événement Aimé Césaire » un appel étonnant et mystérieux. Je me méfie des poissons d’avril : le 1er avril de l’an passé, poursuivi aux frais du contribuable, n’étais-je pas condamné par la 17e chambre correctionnelle à 800 euros d’amende avec sursis pour diffamation parce que j’avais écrit non pas que Patrick Karam - qui bombait naguère le torse devant un portrait de Césaire - n’était qu’un pauvre con (qui aurait dû se casser depuis longtemps), mais seulement (et plus élégamment) que Patrick Karam était un braque interministériel, dont l’inculture était notoire, et que ledit braque avait organisé le fichage des Antillais ? (une décision heureusement annulée depuis par la cour d’Appel). Le 1er avril suivant donc, patatras ! Une jeune fille se disant mandatée par l’Élysée (mais ne me donnant pas son nom) me relance à la dernière minute pour savoir si je répondrai à une invitation que je n’ai évidemment jamais reçue puisqu’on ne me l’a pas envoyée. Même si, lors de la dernière panthéonisation, qui était celle d’Alexandre Dumas, j’étais non seulement au nombre des spectateurs, mais aussi des acteurs, autant qu’il m’en souvienne, j’ai été fort étonné par cet appel. Voici bien en effet deux ans que je n’ai reçu le moindre bristol (sauf erreur de ma part) ni de l’Elysée, ni du ministère de l’Outre-mer, ni du ministère de la Culture, mais seulement des assignations à comparaître. Un ami me demandait encore l’autre soir si je me rendrais à je ne sais quel pince-fesses organisé par Mitterrand pour le lancement de l’ «année des outre-mer». Une année des « outre-mer » ? Bigre ! Non, je n’étais pas invité, n’ayant écrit que dix livres, et réalisé que deux films, ce qui n’est évidemment pas assez pour que le «conseiller outre-mer» de Mitterrand puisse s’intéresser à un pauvre nègre qui ne danse même pas le zouk et qui ne saurait donc promouvoir ni valoriser la culture des « outre-mer ». Tout cela est plutôt rassurant puisque Césaire m’expliquait que jusqu’à l’âge de 60 ans, il avait été lui-même un pestiféré. Je suis donc dans le bon camp. Quelqu’un - mais qui ? - a dû se dire, au dernier moment – celui où on se demande si on invite ou pas Jean-Paul Guerlain - qu’il serait peut-être ennuyeux qu’un camarade de Césaire (au sens de la camaraderie qui lie les anciens normaliens, peu nombreux, parmi les nègres), qu’un écrivain lu par Césaire et invité à ce titre par lui en Martinique, que l’auteur d’un des rares livres consacrés à Césaire depuis sa mort, et surtout que l’initiateur de la panthéonisation, soit en fin de compte « oublié » sur une liste où, c’est sûr, se pressera aux premiers rangs tout la petite bande de braques incultes qu’on a l’habitude de voir en ce genre de circonstances. Et qui, nègres prosternés ou néo-colonialistes racistes, ont autant leur place à la panthéonisation de Césaire que moi à l’anniversaire de Zemmour. Donc on le rajoute à la sauvette pour le mettre tout au fond, bien sûr, histoire de l'humilier tout en l'invitant. La jeune fille de l’agence de communication a dit qu’il fallait, pour une cérémonie prévue à 18 heures, que je sois là dès 16 heures à poireauter. Et avec une carte d’identité, s’il vous plaît, au cas où je ne serais pas Claude Ribbe mais un sosie qui essaierait de se faire passer pour lui (par exemple, Sweet Micky, alias Michel Martelly, le candidat à la présidence d’Haïti). Il paraît qu’à 17 heures, d’après la fille, il se passerait quelque chose dont on ne peut parler à l’avance tellement c’est fort… Peut-être la lecture d’un texte de Césaire, « normalien noir » par Alain Finkielkraut ? Ce qui nous changerait de Jacques Martial. Ou alors une lecture d’un texte de Césaire par Patrick Karam pour accompagner un strip-tease de Villepin, le chantre des Békés ? Ou encore une saynète jouée par Depardieu dans le rôle de Césaire ? L’inauguration d’une plaque n’est certes pas tout à fait une panthéonisation. On aurait pu, comme je le préconisais, panthéoniser tout à fait Césaire, même en laissant son corps reposer en Martinique, selon la volonté de sa famille. Tel fut le cas pour Condorcet en 1989. Mais c’est déjà un début et loin de moi la pensée qu’il puisse s’agir d’une manœuvre politique destinée à faire de l’œil aux « outre-mer » (quelle brillante formule, décidément !) dans la perspective des prochaines élections. Ce matin, j’ai relu cette dédicace que Césaire m’avait faite de son livre, contenant le recueil de son œuvre poétique et qui, ce me semble, vaut largement un carton d’invitation pour déjeuner à l’Elysée. « À Claude Ribbe, pour le remercier de tant aimer nos Antilles et de nous avoir permis de les aimer. Amitié, si j’ose, fraternelle. Aimé Césaire. Fort-de-France, le 11 juillet 2006.» Bref, Césaire et moi, on vous emmerde !