Tuesday 6 September 2011

Napoléon 1er - L'assassinat de l'Impératrice Joséphine

Le billet du poète

Au commencement de ce siècle, la France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu'elle remplissait l'Europe. Cet homme, sorti de l'ombre, était arrivé en peu d'années à la plus haute royauté qui jamais peut-être ait étonné l'histoire. Une révolution l'avait enfanté, un peuple l'avait choisi, un pape l'avait couronné. Chaque année, il reculait les frontières de son Empire... Il avait effacé les Alpes comme Charlemagne et les Pyrénées comme Louis XIV ; il avait construit son État au centre de l'Europe comme une citadelle, lui donnant pour bastions et pour ouvrages avancés dix monarchies qu'il avait fait entrer à la fois dans son Empire et dans sa famille. Tout dans cet homme était démesuré et splendide. Il était au-dessus de l'Europe comme une vision extraordinaire.

(Victor Hugo. Discours à l'Académie Française, le 3 juin 1841).



L'assassinat de l'Impératrice Joséphine
au château de Malmaison



Façade avant

Selon la légende, Malmaison tirerait son nom de mala mansio, mauvaise maison. Ancien fief de l'abbaye de Saint-Denis au 13ème siècle, elle fut une sorte de sanatorium, maladrerie ou léproserie nous apprend Jean Bourguignon, ancien conservateur des musées nationaux (1). Talleyrand, dans sa Confession (2), prétend que «le château fut habité par le bourreau du cardinal de Richelieu. Ce séjour, de superstitieuse mémoire, lui valut le nom de Maison du diable, Maison maudite, Mala domus, Maison du mal, dont on a fait Malmaison...»




Ce n'est pourtant pas cette mauvaise réputation qui empêcha Madame Bonaparte, d'acheter pour le compte de son mari, alors en Egypte, cette demeure qui allait, quinze années durant, voir défiler dans ses murs, tout ce que Paris et l'Europe comptait de personnalités influentes dans les domaines les plus divers.

C'est par une lettre écrite à son frère Joseph, que le général Bonaparte exprima son voeu :
«Je pense être en France dans deux mois; fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit près de Paris ou en Bourgogne.» (3) Déjà, avant le 13 vendémiaire, il avait sollicité Bourrienne : «Cherche un petit bien dans ta belle vallée de l'Yonne; je l'achèterai dès que j'aurai de l'argent; mais n'oublie pas que je ne veux pas de bien national.» (4) C'est finalement Joséphine qui concrétisera son souhait le 21 avril 1799, en signant devant maître Raguideau, notaire à Paris, l'acte d'achat du château aux époux Le Couteulx du Molay pour la somme de 250 000 Francs à valoir sur la demeure meublée et son domaine. Dans un premier temps, elle ne régla que le mobilier; encore dut-elle emprunter pour ce faire. Le retour précipité d'Egypte du général Bonaparte fin 1799 et son ascension fulgurante après le dix-huit brumaire, permirent de mener à bien cette acquisition. Ce modeste château et son domaine bénéficia alors de travaux d'embellissement et d'agrandissement sous la direction de sa nouvelle châtelaine qui dépensa sans compter, afin de lui donner l'allure que nous lui connaissons encore aujourd'hui, même si le domaine a été bien morcelé depuis.



Les meilleurs architectes, (dont Percier et Fontaine), ainsi que les meilleurs jardiniers-paysagistes du temps (Howatson, Morel, Berthault), furent appelés par Joséphine pour transformer la demeure et son parc selon ses goûts. En 1802, on y construisit même un petit théâtre à l'extrémité est de la galerie pour satisfaire à la demande d'Hortense, fille de Joséphine et future reine de Hollande. Quant aux acteurs, ils étaient tout simplement choisis dans la famille et le cercle d'amis des Bonaparte.
Façade arrière de Malmaison


Comme il est dommage, qu'en ce temps là, le camescope restât encore à inventer ! Il nous aurait probablement légué de savoureux instants. C'est qu'en effet, voir et entendre Louis et Jérôme (frères de Napoléon), Bourrienne, le peintre Isabey, Junot, Eugène, etc. donner la réplique à Mmes Murat, Savary, Ney, Hortense, etc. devait être un délicieux moment de détente. Isabey, en plus de jouer la comédie, était décorateur et metteur en scène. Le grand Talma lui-même, conseillait la troupe. Bonaparte fixait le répertoire quand il ne distribuait pas les rôles lui-même. Le Mariage de Figaro et le Barbier de Séville comptèrent parmi ses pièces préférées. Chacun devait tenir son rôle avec le plus grand sérieux. Et gare à celui qui omettait une réplique ! A l'issue des représentations, le Premier consul savait aussi s'octroyer le titre de critique théâtral !




Lorsque la douceur des beaux jours le permettait, les parties de colin-maillard transformaient le parc verdoyant du château en cour de récréation. Et le Premier consul n'hésitait pas à prendre part à ces jeux enfantins. Laissons la parole à Laure Junot, future duchesse d'Abrantès : "Quand il était de bonne humeur, que le temps était beau et qu'il avait à sa disposition quelques minutes dérobées à ce travail constant qui le tuait alors, il jouait aux barres avec nous.
Le parc

Il trichait comme au reversi, par exemple. Il faisait tomber, il arrivait sur nous sans crier : barre ! Enfin c'étaient des tricheries qui provoquaient des rires de bienheureux. Dans ces occasions-là, Napoléon mettait habit bas et courait comme un lièvre, ou plutôt comme la gazelle à qui il faisait manger tout le tabac de sa tabatière, en lui disant de courir sur nous, et la maudite bête nous déchirait nos robes et bien souvent les jambes." (5)

Il lui arrivait aussi, hélas, depuis une fenêtre du château et après s'être armé d'un fusil, de tirer quelques cygnes qui évoluaient sur les pièces d'eau. Aux premiers coups de feu, Joséphine se précipitait sur le coupable qui se laissait désarmer en éclatant de rire. Joséphine aimait trop les animaux pour souffrir de semblables actes. D'ailleurs, elle fit construire plusieurs enclos et volières dans le parc pour y accueillir, gazelles, kangourous, chamois, antilope, oiseaux exotiques, cigognes et même un phoque ! Elle fit également l'acquisition de 500 moutons mérinos qu'elle fit venir d'Espagne ainsi qu'un troupeau de vaches suisses dont elle confia la garde et les soins à un paysan suisse pour lequel elle fit construire un chalet près de l'étang de Saint-Cucufa, non loin.




Le Premier consul créa une Salle du conseil dans une des pièces du rez-de-chaussée du château qui devint pendant les trois premières années du Consulat, le second siège du gouvernement. C'est ici qu'il délibéra en compagnie des plus hauts dignitaires du régime : Talleyrand, Fouché, Cambacérès, etc. Code civil et Légion d'Honneur furent ici évoqués, ainsi que de nombreuses autres questions touchant au gouvernement de la France.
La Salle du conseil





Tout comme la véranda à l'entrée du château, la Salle du conseil a l'allure d'une tente, comme celles qu'il occupait sur les champs de bataille d'Italie et d'Egypte. Même revêtu de l'habit de Premier consul, toutes les personnes qui avaient le privilège d'être reçues dans cette pièce pour y travailler aux destinées de la France, ne devaient pas perdre de vue que Napoléon Bonaparte était avant tout un chef de guerre. La décoration des murs devait donc restituer la gloire dont il s'était déjà auréolé depuis le siège de Toulon.
Vue interne au-dessus de la porte d'entrée de la salle du conseil


Ce goût de la mise en scène était inné chez lui. Plus tard, en 1814, lors de son premier exil à l'île d'Elbe, il créa une salle égyptienne dans la plus grande des pièces de sa résidence d'été de San Martino. A proximité de la Salle du conseil, il fit également aménager une magnifique bibliothèque.

Un jour qu'il se promenait en compagnie de Thibaudeau sur l'une des allée du parc, il lui fit cette confidence :
«J'étais ici dimanche dernier, me promenant dans cette solitude, dans ce silence de la nature, le son de la cloche de Rueil vint tout à coup frapper mon oreille. Je fus émus, tant est forte la puissance des premières habitudes et de l'éducation. Je me dis alors : "Quelle impression cela ne doit-il pas faire sur les hommes simples et crédules ?" Que vos philosophes, que vos idéologues répondent à cela. Il faut une religion au peuple.» (6) Peu de temps après, le 15 juillet 1801, il signait le Concordat qui rétablissait la religion catholique en France.

En 1802, à la suite de la proclamation du Consulat à vie, le couple s'éloigna de Malmaison, pour s'installer au proche château de Saint-Cloud. Joséphine continua néanmoins à venir régulièrement à Malmaison, poussé en cela par sa passion des fleurs et de la botanique en général. Elle avait en effet fait aménager une grande serre chaude, pour laquelle elle fit venir des quatre coins du monde, les plantes les plus rares et sut s'entourer pour la circonstance, des plus éminents spécialistes. De cette passion, naîtront deux ouvrages remarquables : Jardin de la Malmaison sous la direction de Ventenat, illustré par Redouté et Description de Plantes rares cultivées à la Malmaison et à Navarre sous celle de Bonpland, intendant du domaine en 1809.




A table, et au moment du dessert, il n'était pas rare que les invités se vissent proposer par la maîtresse des lieux, toute triomphante, bananes, ananas et autres fruits exotiques qui provenaient de la serre chaude de Malmaison. N'y pouvait-on voir là, plus belle récompense aux efforts consentis ? N'était-ce pas en souvenir de sa Martinique natale qu'elle avait jadis quitté à l'âge de seize ans, qu'elle régalait ainsi ceux qui l'entouraient ?
Magnifique service de table de Sèvres


Son petit-fils, Louis-Napoléon, fils d'Hortense et futur Napoléon III, se souviendra dans son exil anglais, des bontés de sa grand-mère :
«Mon frère et moi étions maîtres de tout faire, y compris de couper les cannes à sucre de la serre pour les sucer». (7)




C'est assurément à Malmaison que Joséphine, en compagnie de son époux et de ses deux enfants, Eugène et Hortense, passa les plus beaux moments de sa vie. Mais ce bonheur dut bientôt être sacrifié sur l'autel de la raison d'État. A la fin de l'année 1809, ne pouvant donner d'héritier à l'Empire, Joséphine fut écartée au profit d'une jeune archiduchesse autrichienne de dix-huit ans et quatre mois : Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine (1791-1847), fille de l'empereur François 1er d'Autriche, roi de Bohême et de Hongrie, et de Marie-Thérèse de Naples. Napoléon l'épousa le 2 avril 1810.
L'Impératrice Joséphine


Le 15 décembre 1809, le divorce fut prononcé. Elle quitta alors, dans la plus grande dignité, le château des Tuileries pour s'engouffrer dans un carrosse qui l'emmena, tous rideaux baissés, vers Malmaison. Ce fut réfugiée parmi ses fleurs et ses animaux qu'elle consomma un chagrin trop sincère pour être dissimulé. Dès le 17 décembre, Napoléon lui écrivit : "Mon amie, je t'ai trouvée aujourd'hui plus faible que tu ne devais être. Tu as montré du courage ; il faut que tu en trouves pour te soutenir ; il faut ne pas te laisser aller à une funeste mélancolie ; il faut te trouver contente et surtout soigner ta santé, qui m'est si précieuse. Si tu m'es attachée et si tu m'aimes, tu dois te comporter avec force, et te placer heureuse. Tu ne peux pas mettre en doute ma constante et tendre amitié, et tu ne connaîtrais bien mal tous les sentiments que je te porte, si tu supposais que je puis être heureux si tu n'es pas heureuse, et content si tu ne te tranquillises. Adieu, mon amie; dors bien; songe que je le veux." (8)

Napoléon pourvut à son aisance matérielle. Non seulement elle garda son rang et son titre d'Impératrice-Reine, mais surtout le château de la Malmaison lui fut maintenu. Elle reçut en partage l'Elysée-Napoléon comme on l'appelait à l'époque, qu'elle restitua plus tard contre le château de Navarre près d'Evreux et celui de Laeken, près de Bruxelles. Elle reçut encore un douaire fixé à une rente annuelle de deux millions de francs sur le trésor de l'État. Mais que sont deux millions pour une âme en peine ? Napoléon qui détestait les scandales dut intervenir à plusieurs reprises afin de renflouer celle qui n'était plus que son amie. La lettre ci-dessous témoigne de la générosité de l'Empereur, mais surtout de sa mansuétude :

"J'ai accordé 100.000 francs pour 1810 pour l'extraordinaire de la Malmaison. Tu peux donc planter tout ce que tu voudras; tu distribueras cette somme comme tu l'entendras. J'ai chargé Estève [trésorier général de la Couronne] de te remettre 200,000 francs, aussitôt que le contrat de la maison Julien (château de Bois-Préau à proximité) sera fait. J'ai ordonné que l'on paierait ta parure de rubis, laquelle sera évaluée par l'intendance, car je ne veux pas de volerie de bijoutiers. Ainsi voilà 400,000 francs que cela me coûte. J'ai ordonné que l'on tint le million que la liste civile te doit, pour 1810, à la disposition de ton homme d'affaires pour payer tes dettes. Tu dois trouver dans l'armoire de Malmaison 5 ou 600,000 francs ; tu peux les prendre pour faire ton argenterie et ton linge. J'ai ordonné qu'on te fit un beau service de porcelaine à Sèvres; l'on prendra tes ordres pour qu'il soit très-beau."(9)

Convoité depuis de nombreuses années, l'Impératrice acheta en 1810 le château de Bois-Préau [Maison Julien], tout proche, pour y loger ses invités, mais également ses domestiques. Démoli, puis reconstruit en 1854, il deviendra musée national en 1926. Le château de Bois-Préau est aujourd'hui consacré aux souvenirs de la captivité de l'Empereur Napoléon à Sainte-Hélène et à la légende impériale.




La vie de Joséphine s'écoula désormais dans la monotonie et la tristesse. Et ni les voyages, ni le semblant de cour qu'elle constitua autour d'elle ne lui rendirent la paix intérieure. Sa présence trop proche de Paris risquant de froisser la nouvelle Impératrice, pour ne pas dire la seconde, Napoléon l'invita bien vite à s'éloigner de Malmaison pour s'installer au château de Navarre , près d'Evreux.
La reine Hortense


En réalité, l'Empereur voyait d'un fort mauvais oeil, les allées et venues au château si proche des portes de Paris, de ceux contre lesquels une disgrâce avait été prononcée. Et c'est tout naturellement auprès de l'Impératrice déchue que ces derniers accouraient en espérant son intervention auprès de l'Empereur. Obéissante et la mort dans l'âme, Joséphine consentit à se transporter au château de Navarre, emmenant avec elle sa cour et ses gens. Elle y séjourna quelques temps. Sa fille Hortense et ses enfants, séparée de Louis en 1810, après la renonciation de ce dernier au trône de Hollande, viendront la rejoindre à Navarre, tandis que son fils Eugène, vice-roi d'Italie continua sa brillante carrière au service de Napoléon. Malgré l'importance des dépenses engagées à la réfection du château de Navarre, Joséphine ne s'y sentira jamais à l'aise. Trop éloignée de Paris et de ses fournisseurs (auraient pu dire les mauvaises langues), elle viendra se réinstaller, avec l'accord de l'Empereur, à Malmaison dès le mois de mai 1810.

Ecartée des fastes de ce prodigieux empire, elle n'en continua pas moins à faire le bonheur autour d'elle, mais aussi et toujours, celui de ses fournisseurs. Excédé, Napoléon lui adressa cette lettre :
«J'envoie savoir comment tu te portes, car Hortense m'a dit que tu étais au lit hier. J'ai été fâché contre toi pour tes dettes ; je ne veux pas que tu en aies ; au contraire, j'espère que tu mettras un million de côté tous les ans, pour donner à tes petites-filles, lorsqu'elles se marieront. Toutefois, ne doute jamais de mon amitié pour toi, et ne te fais aucun chagrin là-dessus. Adieu, mon amie ; annonce-moi que tu es bien portante. On dit que tu engraisses comme une bonne fermière de Normandie.» (10) Fut-elle sensible à ce dernier compliment ? Toujours est-il qu'elle demanda et obtint la permission de l'Empereur de se rendre à Aix durant l'été 1810, pour y prendre les eaux et peut-être un amant, diront certains, sans la moindre preuve. La duchesse d'Abrantès, dans ses mémoires, rapporte qu'elle visita également une partie de la Suisse et qu'elle "faillit périr sur le lac de Genève, dans une promenade où elle se trouvait dans la même barque que plusieurs personnes de Paris comme M. de Flahaut, etc." L'Empereur, l'ayant appris, lui écrivit le 10 juin 1810 : «J'ai reçu ta lettre; j'ai vu avec peine le danger que tu as couru. Pour une habitante d'une île de l'océan, mourir dans un lac, c'eût été fatalité. [...]» (11)

Malgré cet incident sans conséquences, Joséphine trouva la Suisse fort belle et, fidèle à ses instincts, acheta le petit château de Prégny, proche de Genève. Cette nouvelle acquisition déplut fortement à l'Empereur. A la Cour, cet achat fit jaser. La grossesse de l'Impératrice Marie-Louise étant avérée, l'Empereur s'efforça alors d'éloigner Joséphine de Malmaison. Aussi, sans se mettre en avant, il fit intervenir sa dame de compagnie, madame de Rémusat qui, ayant devancé son retour à Paris, lui écrivit une longue lettre, dont voici un extrait : «[...] Ici, au milieu de la joie que cause cette grossesse, à l'époque de la naissance d'un enfant attendu avec tant d'impatience, au milieu des fêtes qui suivront cet événement, que feriez-vous, madame ?... Que ferait l'Empereur, qui se devrait aux ménagements qu'exigerait l'état de cette jeune mère, et qui serait encore troublé par le souvenir des sentiments qu'il vous conserve ?... Il souffrirait, quoique votre délicatesse ne se permît de rien exiger. Mais vous souffririez aussi; vous n'entendriez pas impunément le cri de tant de réjouissances, livrée, comme vous le seriez peut-être, à l'oubli de toute une nation, ou devenue l'objet de la pitié de quelques-uns qui vous plaindraient peut-être, mais seulement par esprit de parti. Peu à peu votre situation deviendrait si pénible, qu'un éloignement complet parviendrait seul à tout remettre en ordre. Puisque j'ai commencé, souffrez que j'achève... Il vous faudrait quitter Paris. La Malmaison, Navarre même, seraient trop près des clameurs d'une ville oisive et quelquefois malintentionnée. Obligée de vous retirer, vous auriez l'air de fuir par ordre, et vous perdriez tout l'honneur que donne l'initiative dans une conduite généreuse. [...] Et d'ailleurs, outre la récompense toujours attachée à une action droite et raisonnable, avec cet aimable caractère qui vous distingue, cette disposition à plaire et à vous faire aimer, peut-être trouverez-vous dans un voyage prolongé des plaisirs que vous ne prévoyez pas d'abord. A Milan, le spectacle si doux des succès mérités d'un fils vous attend. [...]» (12)

Peu de temps après, le 1er octobre 1810, elle en reçut une autre. Cette fois de l'Empereur. Ce dernier, jugeant sans doute qu'une tournure moins diplomatique aurait davantage raison des réticences de l'Impératrice, il lui écrivit sans ménagement : « J'ai reçu ta lettre. Hortense, que j'ai vue te dira ce que j'en pense. Va voir ton fils cet hiver; reviens aux eaux d'Aix l'année prochaine, ou bien reste au printemps à Navarre. Je te conseillerais bien d'aller à Navarre tout de suite, si je ne craignais que tu ne t'y ennuyasses. Mon opinion est que tu ne peux être, l'hiver, convenablement qu'à Milan où à Navarre. Après cela, j'approuve tout ce que tu feras; car je ne veux te gêner en rien. Adieu, mon amie. L'Impératrice est grosse de quatre mois. [...] Sois contente et ne te monte pas la tête; ne doute jamais de mes sentiments.»(13)

Ni madame de Rémusat, ni l'Empereur ne parvinrent à convaincre Joséphine d'avoir à accomplir ce nouveau sacrifice sous le soleil d'Italie. Elle n'y consentit que deux années plus tard, à l'occasion de la naissance de sa petite-fille Amélie, future impératrice du Brésil et quatrième enfant d'Eugène et d'Augusta de Bavière. Elle revint à Malmaison, puis partit passer l'hiver à Navarre sur l'intervention probable de l'Empereur. Le 20 mars 1811, le son des cloches des églises environnantes vint lui rappeler son sacrifice : La veille, l'Impératrice Marie-Louise avait offert un héritier au trône en donnant naissance au roi de Rome. Ainsi, son sacrifice ne fut pas vain. En France, mais aussi dans toute l'Europe, cette naissance donna lieu à de nombreuses réjouissances. Malgré les sentiments de tristesse que cette naissance lui procura, Joséphine s'associa à la joie générale en organisant un bal à Navarre où furent conviés les principaux notables d'Evreux et de sa région. Ils ne manquèrent d'ailleurs pas de la féliciter comme on félicite une jeune maman ! Cette conduite, toute emprunte de loyauté à l'égard de l'Empereur et de l'Impératrice, la servit dans son désir de retrouver sa Malmaison quelques semaines plus tard.



Dans le courant de l'année 1813, elle obtint de l'Empereur, après maintes sollicitations, de pouvoir rencontrer l'enfant en cachette de Marie-Louise. L'entrevue, organisée par madame de Montesquiou, gouvernante du petit roi, se fit à Bagatelle en compagnie de l'Empereur, nous apprend la duchesse d'Abrantès :
Le Roi de Rome

"«Allez embrasser cette dame, mon fils, dit l'Empereur à l'enfant, en lui montrant Joséphine qui était retombée tremblante sur le fauteuil, d'où elle s'était soulevée à leur entrée dans l'appartement. Le jeune prince leva ses grands et beaux yeux sur la personne que lui montrait son père; et, quittant la main de Napoléon, il se dirigea, sans montrer de crainte, vers Joséphine qui, l'attirant aussitôt à elle, le serra presque convulsivement contre son sein. Elle était si émue, que l'Empereur reçut la commotion qui se communique toujours à celui qui est spectateur d'une impression vive vraiment éprouvée.»"

Sources :

1 - MALMAISON - Jean Bourguignon - Firmin-Didot, 1937
2 - La confession de Talleyrand - 1754-1838 - Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord - p. 137 - Paris - L. Sauvaitre, 1891
3 - MALMAISON - Yvan David, p. 31 - Le temps, 1966
4 - Mémoires sur Napoléon le Consulat l'Empire et la Restauration par Bourrienne - Vol. 1 p. 70 - Garnier Editeur
5 - Histoire des salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - Ladvocat - 1838
6 - Mémoires sur le Consulat - Thibeaudeau - P. 151-152
7 - Guy Godlewski - Le Souvenir napoléonien - N 336 - p 28 juillet 1984
8 - Correspondance de Napoléon 1er - Vol. XX -p.78
9 - Histoire des salons - Duchesse d'Abrantès - p. 176 - Vol. 5 - Ladvocat - 1838
10 - Lettres de Napoléon à Joséphine - Paris 1945 - M. Vox - p.56
11 - Histoire des Salons de Paris - Vol. 5 - Duchesse d'Abrantès - pp. 183-184 - Ladvocat - 1838
12 - Histoire des Salons de Paris - Vol. 5 - Duchesse d'Abrantès - pp.185-192 - Ladvocat - 1838
13 - Histoire des Salons de Paris - Vol. 5 - Duchesse d'Abrantès - pp.192-193 - Ladvocat - 1838




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L'assassinat de l'Impératrice Joséphine
au château de Malmaison




L'effondrement de l'Empire

Depuis sa retraite, l'Impératrice Joséphine va désormais assister à la chute de celui qui paraissait invincible. Le temps des revers arriva. La désastreuse campagne de Russie de 1812 infligea à Napoléon ses pertes les plus sévères. Tout va désormais s'enchaîner. Le baroud d'honneur que fut la campagne d'Allemagne de 1813 n'a pas suffit à arrêter l'Europe coalisée contre lui. Nos frontières furent franchies par un ennemi supérieur en nombre et malgré ses nombreux succès lors de la campagne de France, Napoléon ne put empêcher l'ennemi de se présenter aux portes de Paris, ni certains de ses maréchaux d'aspirer au repos !

Le 29 mars 1814, sur la recommandation de ses conseillers, dont Joseph, Lieutenant-général de l'Empire, ex-roi d'Espagne et frère de Napoléon, l'Impératrice Marie-Louise donna les pleins pouvoirs au maréchal Marmont pour la défense de Paris et quitta à regrets la capitale pour Blois en compagnie du petit roi de Rome, pour se réfugier quelques temps après au château de Rambouillet où son père François 1er d'Autriche vint l'y rejoindre. Ce même jour, Joséphine quitta Malmaison pour trouver abri en son château de Navarre qu'elle atteignit le 30 au soir. Le lendemain, par un courrier de sa fille Hortense, elle apprit la trahison de Marmont ayant entraîné la capitulation de Paris. La nouvelle de l'abdication de Napoléon, ses conséquences sur elle-même et sa famille lui firent écrire le 9 avril à son fils Eugène, toujours en Italie :
«Quelle semaine j'ai passée, mon cher Eugène ! Combien j'ai souffert de la manière dont on a traité l'Empereur ! Que d'injures dans les journaux, que d'ingratitudes de la part de ceux qu'il avait le plus comblés ! Mais il n'y a plus rien à espérer. Tout est fini; il abdique. Pour toi, tu es libre et délié de tout serment de fidélité; tout ce que tu ferais de plus pour sa cause serait inutile; agis pour ta famille...»(14) Etait-elle déjà informée des clauses qui devaient constituer dans les jours suivants, le fameux Traité de Fontainebleau qui fixa le sort de l'Empereur, mais aussi le sien et celui de ses enfants ? Cela est hautement probable et explique ce conseil de prudence et d'abandon conseillé à son fils Eugène, alors vice-roi d'Italie. Si Eugène était entré en rebellion, la tâche des vainqueurs de Napoléon eût été moins aisée. Voici ce que stipulaient les articles 7 et 8 du fameux Traité :






Extrait du traité de Fontainebleau
du 11 avril 1814
- VI. [...] à la reine Hortense et à ses enfants, 400,000 fr.

- VII. Le traitement annuel de l'impératrice Joséphine sera réduit à 1,000,000 en domaines ou en inscriptions sur le grand-livre de France. Elle continuera de jouir, en toute propriété, de tous ses biens meubles et immeubles particuliers, et pourra en disposer conformément aux lois françaises.
- VIII. Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement convenable hors de France.







L'Impératrice courtisée

Ces dispositions l'ayant sans doute quelque peu rassurée, elle reprit le chemin de Malmaison le 13 avril suivant, en songeant sans doute qu'un sort plus funeste aurait pu lui être réservé, à elle et aux siens. Son retour à Malmaison lui fut néanmoins dicté par des âmes bien intentionnées : « ...les princes étrangers firent entendre à Joséphine que sa présence à la Malmaison était convenable, que son éloignement était comme une marque de défiance qui pouvait lui nuire», écrira la duchesse d'Abrantès. (15)

La veille, le comte d'Artois, futur Charles X et frère de Louis XVIII, était entré dans Paris sous la protection de l'Etranger. Le pire ennemi de Napoléon savourait enfin les premières heures de la revanche. Curieusement, il chargea son fils, le duc de Berry, de faire proposer à Joséphine et à sa fille Hortense, une garde et une escorte. Ce que l'une et l'autre s'empressèrent de refuser. (Ce même duc de Berry sera assassiné par Louvel le 13 février 1820. Le ministre Decazes sera soupçonné de complicité et sera contraint à la démission.)



Dès lors, le château de Malmaison (occupé par les cosaques) devait connaître un regain d'activité digne des plus beaux jours du Consulat. Carrosses et calèches se présentèrent en nombre aux grilles du château. Le 16 avril, le tsar Alexandre 1er lui-même vint en présence du prince Tchernicheff, afin de présenter ses hommages à Joséphine et faire la connaissance de ses enfants. A sa suite, se présentèrent le roi de Prusse et les princes allemands. Même les anglais furent du pèlerinage. Seul, l'Empereur d'Autriche s'abstint d'y paraître. C'eût été le bouquet !
Le tsar Alexandre 1er

Etait-ce là, la place des vainqueurs de Napoléon ? Le tsar se montra plein de prévenances et se proposa d'intervenir auprès de Louis XVIII afin d'assurer l'avenir de Joséphine et des siens. Selon certains, il tenta même de courtiser Hortense qui se montra on ne peut plus froide lors des présentations. Il fit tout pour gagner la confiance de Joséphine et de ses enfants. Auprès du roi Louis XVIII, et selon de nombreux historiens, il obtint pour Hortense le titre de duchesse de Saint-Leu, du nom de la propriété qu'elle possédait à Saint-Leu-Taverny dans l'actuel Val d'Oise, près de Chantilly. Pour Eugène, il obtint le jour même de son retour à Paris, soit le 9 mai, une audience auprès du roi qui prit la forme d'une allégeance déguisée. Pourtant, le prince ne fut pas dupe. Il espérait recevoir un trône, il n'obtint rien du nouveau roi ! Avant la fin de l'été, il quitta la France pour la bavière. De là, il se rendit à Vienne où se tint le Congrès qui fixa le sort de la nouvelle Europe. Il plaida sa cause auprès des plénipotentiaires. En vain ! Il lui fallut attendre 1817, quand par la grâce de son mariage avec Augusta de Bavière (1788-1851), son beau-père, Maximilien 1er, roi de Bavière, le fit duc de Leuchtenberg et Prince d'Eichstätt.

Quant à Joséphine, son sort était-il durablement fixé par le récent traité de Fontainebleau ? Traité auquel Louis XVIII n'avait nullement pris part puisque chacun le sait, il ne fit son entrée à Paris que le 3 mai suivant, «dans la dix-neuvième année de son règne !» Durant ce mois de mai, le tsar Alexandre fit de Malmaison, son lieu de promenade préférée. Avec l'aide de Caulaincourt, (dernier ministre des Relations extérieures de Napoléon et signataire du traité de Fontainebleau), il réussit, par ses assiduités, à convaincre Joséphine des sentiments d'amitié qu'il portait à sa famille et se présenta désormais comme son unique soutien face au retour des Bourbons.
Les malaises de l'Impératrice

Le 10 mai, brusquement, la santé de l'ex-Impératrice vacilla sans raison apparente. Georgette Ducrest, l'une de ses dames d'honneur rapportera : «L'Empereur Alexandre alla voir l'Impératrice Joséphine le 10 mai, et dîna à la Malmaison. Elle resta dans le salon malgré des souffrances réelles qu'elle cherchait à combattre. On fit une partie de barres après le dîner sur la belle pelouse qui est devant le palais; elle essaya d'y prendre part; mais ses forces la trahirent, et elle fut contrainte à s'asseoir. Sa figure altérée fut remarquée; on lui fit mille questions auxquelles elle répondit en souriant; elle assura qu'un peu de repos la remettrait; on se retira espérant qu'en effet elle serait mieux le lendemain. Le jour suivant, cherchant à calmer les inquiétudes que faisaient naître son état, elle voulut faire sa promenade accoutumée, mais elle se trouva complètement mal, et fut ramenée dans sa chambre dans un état de faiblesse fort alarmant. La journée ne fut pas bonne. Elle eut plusieurs évanouissements. La nuit fut plus mauvaise encore; une sorte de délire s'était déjà emparé d'elle; fortement agitée, elle parlait beaucoup, bien que son médecin le lui eût défendu expressément». (16) Pourtant, sur cette période, la duchesse d'Abrantès écrit : «Cependant, elle n'avait jamais été si fraîche et si belle. L'apparence de la santé était sur son visage.» (17)

Désireux de connaître la propriété d'Hortense à Saint-Leu, le tsar Alexandre manifesta le désir de s'y rendre avec une telle insistance que Joséphine lui glissa : «Il ne faut pas que votre majesté s'attende à trouver une maison royale; ma fille et moi ne sommes plus que des femmes du monde, et, en venant chez Hortense, il faut que votre majesté y vienne avec toute son indulgence.» (18)

Joséphine et sa fille acceptèrent donc de recevoir le tsar à Saint-Leu, le 14 mai. De nouveau, à l'occasion d'une promenade dans le parc, après le déjeuner, Joséphine fut prise de nouveaux malaises. «Son fils, qui était auprès d'elle dans le char-à-banc, crut un moment qu'elle allait s'évanouir. De retour au château, elle se trouva si fatiguée qu'elle fut obligée de se coucher sur une chaise longue, et là elle fut pendant une heure assez souffrante pour inquiéter...» (19)

Elle regagna Malmaison le lendemain, en proie à de sombres présages. Son médecin, le docteur Horeau, diagnostiqua un simple rhume ! Georgette Ducrest rapportera :
«M. Horeau crut devoir prendre quelques précautions : il lui donna l'émétique et la purgea».(20)L'émétique étant un puissant vomitif à base de mercure, on ne conçoit pas comment le Dr Horeau a pu prescrire un tel remède après avoir diagnostiqué un rhume ! Les jours suivants, elle s'attacha après le déjeuner, à faire sa promenade habituelle. Elle fut victime de nouveaux malaises et dut rejoindre le château dans la précipitation, inspirant à ses proches les plus vives inquiétudes. Georgette Ducrest ajoutera encore :«Le 24 mai (c'était un vendredi) elle éprouva en s'éveillant un cuisant mal de gorge.» (21)



Le lendemain 25 mai, l'empereur Alexandre lui rendit visite, et la trouvant fort changée depuis la veille, il lui proposa de lui envoyer son médecin particulier, ce qu'elle refusa de crainte de désobliger M. Horeau, dans lequel elle avait «une grande confiance.» La fièvre fera son apparition. Le prince Eugène écrivit alors à son épouse demeurée en Bavière : «Le médecin dit que ce n'est qu'un catarrhe, mais moi je ne la trouve pas bien du tout.» (22)
Le prince Eugène

Bien qu'il disposait d'une modeste chambre au château de Bois-Préau tout proche, le Docteur Horeau, après avoir visité l'Impératrice le matin, avait pour coutume de se rendre à Paris chaque jour, pour ne revenir à Malmaison qu'au petit matin. Il est bien surprenant qu'au vu des sérieux symptômes que présentait l'Impératrice, ce médecin n'est point dérogé à son habitude pour ne s'occuper exclusivement que de la santé de sa patiente.

Au soir du 25 mai, son état réclama de toute urgence la présence d'un médecin. En l'absence du Dr Horeau, on fit donc appel au docteur Lamoureux de Rueil qui fut «effrayé du danger de l'Impératrice.» Il proposa la pose de vingt-cinq sangsues, mais se garda bien de s'atteler à la tâche en l'absence du médecin ordinaire de Joséphine. On alla donc chercher ce dernier à Paris. Dès son arrivée au château, il tança son confrère de Rueil par ces mots :
«Eh, Monsieur, dans un pareil cas, il ne fallait pas m'attendre : deux heures perdues sont mortelles(23) Affirmation fort curieuse de la part de ce médecin qui persistait à faire croire au rhume dans l'entourage de Joséphine depuis quinze jours. Fallait-il qu'il soit bien convaincu que cette fois, l'Impératrice allait «passer» pour oser s'exprimer ainsi. Après une si habile tirade, et si le décès de l'Impératrice était survenu ce soir du 25 mai, la responsabilité de ce malheur n'eût point manqué de rejaillir sur le docteur Lamoureux !

La duchesse d'Abrantès rendit visite à l'Impératrice le 26 et lui proposa de lui présenter Lord Catheart [ambassadeur d'Angleterre en Russie] :
«Eh bien me dit-elle, venez déjeuner et passer la journée après-demain 28, le temps est admirable, et nous irons au Butard.» (24) A l'issue de cette visite, la duchesse écrivit : «[...] je la quittai très peu alarmée pour sa santé.» (25) L'Impératrice, comme on le voit, après une bonne nuit, s'était remise de sa violente attaque de la veille au soir.

Le lendemain 27 mai, nouvelle rechute. L'Impératrice accepta enfin d'être auscultée par le docteur sir James Wylie (1765-1854), chirurgien du tsar Alexandre, qui déclara à Hortense :
«Je trouve sa majesté bien mal, il faudrait la couvrir de vésicatoires.»(26) Il lui annonça la visite du tsar pour le lendemain. Le matin du 28 à 10 heures, la duchesse d'Abrantès se présenta comme convenu à Malmaison en compagnie de lord Catheart. Elle fut accueillie par monsieur de Beaumont, chambellan, qui lui apprit «que l'Impératrice était dans son lit avec de la fièvre, et que le vice-roi [Eugène] était également malade. On attendait l'Empereur de Russie, car la maladie était venue si promptement, qu'on n'avait pas eu le temps nécessaire pour le faire avertir...» (27) La duchesse et lord Catheart repartirent sur Paris sans avoir pu voir l'Impératrice. Le docteur Horeau, prit (?) alors conscience de la gravité de l'état de sa patiente et jugea sa tête «entreprise comme si elle eût été dans l'ivresse». (28) Hortense (?) fit alors appel aux docteurs Bourdois [médecin de Talleyrand], Lamoureux et Lasserre qui diagnostiquèrent une esquinancie infectieuse. Désormais, l'Impératrice, sans forces, ne parvint plus à prononcer le moindre mot de façon compréhensible et glissa irrémédiablement vers la mort.

Mort de l'Impératrice

Dans une noble intention et pour servir à la légende de l'Impératrice, Georgette Ducrest lui attribua pourtant ces paroles qu'elle n'a probablement jamais prononcées : «Au moins, dit Joséphine d'une voix expirante, je mourrai regrettée; j'ai toujours désiré le bonheur de la France; j'ai fait tout ce qui a été en mon pouvoir pour y contribuer; et je puis vous dire avec vérité, à vous qui êtes présents à mes derniers moments, que la première femme de Napoléon n'a jamais fait verser une larme.» (29)

Le 29, alors que le tsar Alexandre se trouvait encore à Malmaison, on ne jugea plus nécessaire d'en informer l'Impératrice. Son état désespéré commanda à sa fille Hortense de faire appeler auprès de la mourante, l'abbé Bertrand, précepteur de ses enfants, qui lui administra les derniers sacrements. Hortense, bouleversée ne supporta pas cette ultime cérémonie et perdit connaissance. En cette fin de matinée du 29 mai 1814, lorsqu'elle recouvra ses esprits, son frère Eugène la prit dans ses bras et lui annonça, le visage baigné de larmes et la voix hachée par les sanglots, la mort de leur mère. L'Impératrice aurait eu 51 ans le vingt-quatre juin suivant, l'âge qu'aura Napoléon à sa mort, sept années plus tard.

Le docteur Béclard, chef des travaux anatomiques de la Faculté, avec l'aide du pharmacien Cadet-Gassicourt et du docteur Horeau, pratiqua l'autopsie de la défunte. La trachée-artère de l'ex-Impératrice se révéla méconnaissable. «La membrane est rouge-vif et se déchire dès que l'on y touche. Poumons -adhérents à la plèvre- et bronches semblent gravement atteints.»
(30)

La presse

Le Journal des Débats écrivit dans son édition du 30 mai :«La mère du prince Eugène est morte aujourd'hui, à midi, dans son château de la Malmaison, à la suite d'une maladie qui s'était d'abord annoncée comme une fièvre catarrhale, et qui a pris tout d'un coup un tel caractère de malignité, que la malade a succombé au bout de trois jours. Elle a reçu avec autant de piété que de résignation, tous les secours de la religion. Elle a eu la triste consolation de mourir entre les bras de sa fille et de son fils, dont elle était séparée depuis longtemps...»

«La mort la plus inattendue vient de frapper une personne à laquelle tous les malheureux doivent un souvenir et un regret...»(Ibid., 3 juin 1814, p.1.)

On pouvait lire également, dans Vie de l'Impératrice Joséphine...Paris, 1814, chez H. Vauquelin, quai des Augustins, au Lys d'Or, « cette princesse fut attaquée sur la fin de mai, d'une esquinancie gangréneuse, dont on ne se doutait pas; on ne connut le danger que lorsqu'il ne fut plus possible d'y remédier. Après trois jours de maladie, elle mourut le 29 mai 1814, à cinq heures du matin, au château de la Malmaison. Peindre le désespoir de sa fille, son fils, serait impossible...»

Les funérailles

Redonnons la parole à Georgette Ducrest : «Depuis ce jour fatal de la mort de l'Impératrice jusqu'au 2 juin, que devait avoir lieu l'enterrement, plus de vingt mille personnes revirent Joséphine pour la dernière fois. Je ne parle pas de quelques centaines de curieux qui profitèrent pour venir visiter la Malmaison : ceux-ci, après avoir salué le lit de parade, demandaient où étaient située la Grande Serre et allaient en riant agacer les animaux étrangers.» Le corps de Joséphine, placé sur un lit de parade dans un petit salon qui précédait la chambre où elle est morte, avait été entouré de cierges nombreux. Un autel richement décoré était élevé à droite de la porte d'entrée, et entouré de chaises et de fauteuils. Ce salon était drapé de noir, mais sans chiffre ni écusson. Deux des servants, appartenant à des villages voisins, le curé de Rueil et quatre valets de chambre, gardaient le corps de Joséphine dont le visage avait été recouvert d'un mouchoir de batiste.

2 juin : [...] A midi, les funérailles eurent lieu avec la plus grande pompe dans la modeste et petite église du village de Rueil, paroisse de la Malmaison. Les coins du drap mortuaire étaient portés par le grand-duc de Bade (époux de la grande-duchesse Stéphanie de Beauharnais, nièce de l'Impératrice), le marquis de Beauharnais, ancien ambassadeur, beau-frère de Sa Majesté; le comte de Tasher son neveu; et, je crois, le comte de Beauharnais, chevalier d'honneur de Marie-Louise. Le cortège sortit par la grille d'entrée de la Malmaison, et suivit la grande route jusqu'à Rueil. Le général Sacken, représentant l'empereur de Russie, et l'adjudant-général du roi de Prusse, remplaçant son souverain, se rendirent à pied à la tête du convoi, ainsi qu'un grand nombre de princes étrangers, de maréchaux, de généraux et d'officiers français. Les bannières des différentes confréries de la paroisse, et vingt jeunes filles vêtues de blanc, chantant des cantiques, faisaient partie du cortège, dont la haie était formée par des hussards russes, et des gardes nationaux. Deux mille pauvres de tout âge fermaient la marche. Le général Sacken fut chargé, de la part de son maître [Le tsar Alexandre], d'annoncer aux parents de l'Impératrice, réunis à la Malmaison, qu'affecté trop profondément de la mort de Sa Majesté, il voulait consacrer les trente-six heures qu'il avait encore à rester à Paris à l'excellent prince Eugène et à sa soeur. On compte plus de quatre mille habitants des communes voisines qui s'étaient assemblés pour rendre un dernier hommage à la mémoire d'une princesse qui avait si bien mérité le titre de mère des pauvres et des affligés. M. de Barral, archevêque de Tours, son premier aumônier, assisté de MM. les évêques d'Evreux et de Versailles, célébra la messe; après l'Evangile, il prononça une brève et touchante oraison funèbre. Le corps de Joséphine, placé dans un cercueil de plomb, renfermé dans une caisse de bois, fut ensuite déposé provisoirement dans une partie du cimetière [...].
(31)

La duchesse d'Abrantès écrit :
«Cette mort frappa tout le monde d'une sorte de terreur... Il y avait dans la vie de cette femme un rapport constant avec l'existence de l'homme providentiel qui avait régné sur le monde... Le jour où cette puissance s'éteint... l'âme de cette femme s'éteint aussi ! ... Il y a dans ces deux destinées un mystère profond que la main de l'homme ne pourra dévoiler, mais que l'intelligence comprend(32)

La duchesse d'Abrantès parle d'un mystère profond et elle a raison. Puisque selon elle, la main de l'homme ne pourra pas le dévoiler, nous allons essayer de mettre en lumière certains faits qui, avec le recul, apparaissent comme particulièrement suspects.

Remarques

On l'a vu, au temps de son règne et sitôt son second mariage avec l'archiduchesse Marie-Louise, la présence de l'Impératrice Joséphine à proximité de Paris, incommodait l'Empereur, mais aussi et surtout sa nouvelle épouse. L'Empire français possédait alors deux impératrices ! Ce titre qui avait été conservé à Joséphine pour faciliter son acceptation au divorce, devint de plus en plus pesant. L'Empereur, dans sa pensée, dut le regretter. Néanmoins, il respecta ses engagements.

Sitôt l'effondrement de l'Empire et la relégation de Napoléon à l'île d'Elbe, Louis XVIII fait son retour à Paris et s'installe sur le trône. Peut-on raisonnablement penser, que ce roi eût pu accepter de régner sans rechigner, sachant l'Impératrice Joséphine à trois lieues de Paris ? Le traité de Fontainebleau ne lui avait-il pas maintenu ses biens et son titre d'Impératrice ? Cette fois, nous n'étions plus dans le cas de figure qui avait tant irrité Marie-Louise et Napoléon. La Restauration naissante ne pouvait offrir aux yeux des Cours européennes, l'étonnant spectacle d'un roi de France à Paris et d'une impératrice régnant sur ses rosiers à Malmaison. On devine bien tout l'inconfort pour le nouveau roi que cette situation provoquait. Ecrire à Joséphine était un réel supplice pour qui en éprouvait le désir : Comment la nommer ? Votre Majesté ? Ce titre n'était réservé alors qu'au seul roi Louis XVIII, son épouse, Marie-Josèphe-Louise de Savoie étant décédée quatre années plus tôt.

Pourtant, le remède existait bien : l'exil ! Le roi lui-même et sa famille ne revenaient-ils pas de vingt-trois années d'exil ? L'Empereur Napoléon n'avait-il pas accepté de s'exiler à son tour ? Mais imposer une telle mesure à Joséphine eût été contraire au traité de Fontainebleau. Le tsar Alexandre 1er qui en avait supervisé la rédaction, n'eût point permis que l'on touchât aux articles 6, 7 et 8 qui engageaient sa responsabilité et son honneur. On tournait donc en rond ! Et puis, il y avait le cas du prince Eugène qui demeurait un réel danger pour le royaume. Le vice-roi d'Italie ne représentait-il pas une complication dans la politique du nouveau régime ? Sa popularité n'était point entachée des "crimes de l'Usurpateur". Sa popularité et son prestige étaient intacts. Sa possible alliance avec le roi de Naples (Murat, beau-frère de Napoléon) qui était lui-même l'allié de l'Autriche depuis le 11 janvier 1814, ne risquait-elle pas de se retourner contre les Bourbons à la première occasion ? Et ce trône de Naples, ne le revendiquaient-ils pas également ?

Le comte d'Artois, dès son retour à Paris, se montra le plus acharné, le plus haineux à l'égard de ceux qui avaient servi l'Empire. Louis XVIII, céda trop souvent aux instincts revanchards de son frère. Pour se défaire de Joséphine on utilisa une méthode en trompe-l'oeil. On l'a vu plus haut, Joséphine et les siens reçurent toutes sortes de preuves de la "bonté" du roi. Le duc de Berry lui offrit même une garde qui fut refusée. On l'invita à quitter Navarre pour rejoindre Malmaison en l'assurant qu'elle et les siens n'avaient rien à redouter du nouvel état des choses en France. Bien au contraire. Pour preuve, on recommanda aux vainqueurs de Napoléon d'aller lui rendre visite. On se comporta de telle sorte que la pauvre Joséphine eût pu penser être redevenue la première dame de France ! Bon nombre de royalistes (en service commandé eux aussi) prirent également le chemin de Malmaison pour témoigner leur reconnaissance à celle qui avait, en son temps, si bien plaidé auprès de son mari la cause des émigrés. Le roi lui envoya même le duc de Polignac pour lui témoigner sa reconnaissance personnelle pour son intervention auprès de Bonaparte, après la découverte de la conspiration dont il s'était rendu complice en 1804 et qui avait causé la perte du duc d'Enghien. La duchesse de Polignac avait alors sollicité Joséphine afin d'obtenir un rendez-vous avec Bonaparte. Elle souhaitait plaider la cause de son mari. Elle plaida si bien que son mari eut la vie sauve.

La bonté du roi Louis XVIII

Le tsar Alexandre 1er fut l'un des premiers à se précipiter à Malmaison. Sans doute ne fut-il pas étranger à cette recommandation que Joséphine donna par écrit à son fils Eugène, de ne plus rien tenter pour la cause de Napoléon. En échange de quoi, il se ferait fort d'obtenir du roi, les plus grandes assurances pour cette famille dont la destinée semblait menacée. Il arracha au roi, pour l'ex-reine Hortense, le titre de duchesse de Saint-Leu. Le château resta sa propriété. Ah, la bonté du roi ! Une bonté qui avait néanmoins ses limites : terres et bois lui seront ôtés. Lui furent seulement maintenus les bois d'Ermenonville et de l'Isle Adam. L'immense partie amputée redevint la propriété du duc de Bourbon, prince Louis de Condé (père du duc d'Enghien, tiens, tiens) qui après les Cent-Jours reprit possession de l'ensemble du domaine, une fois Hortense expulsée de France ! Pour l'anecdote, on notera que ce même prince connaîtra bien des années plus tard, dans ce même château de Saint-Leu, une mort mystérieuse qui soulève toujours des interrogations. Le 27 août 1830, il fut en effet découvert pendu à l'espagnolette d'une fenêtre, le cou étranglé par deux mouchoirs noués, les deux pieds reposant sur le sol ! Son neveu, Louis-Philippe 1er était monté sur le trône le 9 août précédent. On l'aurait "suicidé" !


La manoeuvre de Talleyrand

D'autre part, on ne perdra pas de vue, qu'au retour de Louis XVIII, Monsieur Charles-Maurice de Talleyrand s'était empressé de se mettre au service du roi de qui il reçut de nouveau le portefeuille des Affaires étrangères. Et si aujourd'hui encore, on persiste à croire que le titre de duchesse de Saint-Leu accordé à Hortense fut essentiellement l'oeuvre du tsar Alexandre, on se trompe lourdement. Monsieur de Talleyrand en fut le principal initiateur. En effet, Hortense, vivant séparée de l'ex-roi Louis de Hollande (frère de Napoléon), avait contracté une liaison avec Charles Auguste, comte de Flahaut de la Billardière (1785-1870) dont était né un enfant trois années auparavant. Charles-Auguste n'était autre que le fils naturel de ...Charles-Maurice de Talleyrand ! Plus tard, cet enfant naturel fera une brillante carrière politique sous le nom de duc de Morny aux côtés de son demi-frère, Louis-Napoléon, futur Napoléon III. Le tsar Alexandre officia donc auprès du roi, davantage pour être agréable à Talleyrand, bien plus qu'à Hortense. Ajoutons encore que depuis l'entrée des armées alliées à Paris et tout le temps de son séjour, le bon Alexandre logea chez Monsieur de Talleyrand, en son hôtel particulier, rue Saint-Florentin à Paris. Cela crée des liens !

Le bon docteur Horeau

Mais revenons à l'Impératrice. On l'a vu, la presse de l'époque a soutenu que la mort avait emporté Joséphine après une maladie de trois jours. Or, les premiers malaises sérieux sont apparus le 10 mai, selon Georgette Ducrest. Le 11 mai, le mal fut si intense que Joséphine perdit connaissance à plusieurs reprises. Le 14, après le déjeuner offert à Saint-Leu en l'honneur d'Alexandre, elle fut de nouveau prise d'un violent malaise. Le lendemain, de son retour à Malmaison, Mlle d'Avrillion précise : «Ce jour-là elle me parut beaucoup mieux, et elle dîna à table comme à son ordinaire, de sorte que je crus que son indisposition de la veille était passée.» (33) Un peu plus loin, elle précise encore : «C'était le mardi que l'Impératrice avait quitté Saint-Leu pour revenir à Malmaison. Comme je l'ai dit, ce jour là Sa Majesté dîna à table; elle ne paraissait point mal portante, seulement elle se ressentait plus qu'à l'ordinaire des fatigues du voyage : autrement serais-je partie ? [Mlle d'Avrillion prenait son congé] Ce fut quand elle était étendue là, morte et déjà froide, qu'on m'apprit que, le soir de ce même mardi, l'Impératrice avait éprouvé de vagues frissons, des nausées fréquentes, symptômes sinistres d'une vive et profonde douleur de poitrine. Sa Majesté passa une nuit horriblement fatigante, et le lendemain matin, une éruption miliaire se manifesta sur tout son corps, principalement aux bras et sur la poitrine; cette éruption dura vingt-quatre heures et disparut aussi subitement qu'elle était venue.» (34) Ce soir-là, le Dr Horeau diagnostiqua un rhume et lui administra un vomitif ! Prescription en parfaite contradiction avec le diagnostic ! La soudaineté de ce mal et les évanouissements répétés qu'il provoquait, ne pouvaient correspondre à ce "refroidissement" dont les historiens se font l'écho depuis bientôt deux siècles, faute d'en savoir plus ! On notera également, même si nous ne disposons pas d'un bulletin de santé pour tous les jours du mois de mai, que l'Impératrice offrait à ses visiteurs, tel jour, l'aspect de la souffrance, tel autre, l'aspect de quelqu'un qui se portait mieux. Le 24 mai, elle s'éveilla avec un cuisant mal de gorge. Le 25 mai au soir, nouvelle crise aiguë. Sa fille Hortense se décida à faire appel au médecin de Rueil, en l'absence du Dr Horeau, demeuré à Paris.

Et que penser du lendemain 26 où elle proposa à la duchesse d'Abrantès de revenir la voir le 28, en compagnie de Lord Catheart : «Eh bien me dit-elle, écrit la duchesse, venez déjeuner et passer la journée après-demain 28, le temps est admirable, et nous irons au Butard.» A l'issue de cette visite, la duchesse écrira :
« je la quittai très peu alarmée sur sa santé.» En effet, sont-ce là, les propos d'une personne rongée par la maladie et qui dans trois jours ne sera plus ?

Le lendemain 27, nouvelle attaque. Elle qui ménageait ce bon Dr Horeau, consentit à être auscultée par le Dr sir James Wylie, chirurgien du tsar Alexandre. Il faut dire qu'avec le Dr sir James Wylie, elle ne pouvait tomber en de meilleures mains. En 1801, lors de l'assassinat du tsar Paul 1er (père d'Alexandre 1er) dont il était le médecin personnel, il accepta de falsifier les causes réelles du décès, en le déclarant mort d'apoplexie. Ce dernier avait été assommé, puis étranglé. Alexandre 1er demeure toujours soupçonné d'avoir été l'instigateur de cette révolution de palais dont il était le principal bénéficiaire. Pour récompenser son zèle, Alexandre le prit également comme médecin personnel et le nomma bien vite directeur de l'Académie Médico-Chirurgicale. Monsieur Ludovic Debono qui a décrit le personnage dans sa
thèse de médecine, écrit que ses contemporains ne lui ont reconnu que peu de talents médicaux et peu de connaissances scientifiques, mais qu'il fut un bon chirurgien.

Que penser également de cette déclaration de Monsieur de Beaumont à la duchesse d'Abrantès lorsque cette dernière se présenta comme convenu à Malmaison le 28 mai, en compagnie de Lord Catheart : "On attendait l'Empereur de Russie, car la maladie était venue si promptement, qu'on n'avait pas eu le temps nécessaire pour le faire avertir..." Dans la bouche de Monsieur de Beaumont et chacun l'aura compris, «maladie» signifie nouvelle attaque violente et soudaine.

Ce 28 mai, l'Impératrice Joséphine n'avait plus sa tête ! Le Dr Horeau la jugea
«entreprise comme si elle eût été dans l'ivresse». Non, elle n'était pas dans l'ivresse. Elle hurlait de douleur probablement à la suite d'un dernier breuvage qu'on lui avait fait ingurgiter et qui allait définitivement lui détruire la gorge. En moins de vingt-quatre heures, la mort se chargea d'abréger ses cruelles souffrances.

Que penser aussi des conclusions de l'autopsie pratiquée par le docteur Béclard, chef des travaux anatomiques de la Faculté ? Bien que n'étant pas spécialiste, je suis stupéfait en lisant : Poumons -adhérents à la plèvre- et bronches semblent gravement atteints. Comment semblent ? C'est un éminent spécialiste qui écrit de la sorte ? Soit les poumons et les bronches de l'Impératrice sont atteints ou ils ne le sont pas ! En aucun cas, ils ne peuvent sembler l'être !

La roue tourne

Dans cette affaire et au vu des éléments qui vont suivre, je ne puis me résoudre à accepter la thèse officielle de la mort de Joséphine. J'ai la ferme conviction que l'Impératrice a été éliminée. Certains me rétorqueront que tout bon historien doit laisser ses convictions au dehors de son récit. Qu'ils se rassurent, je ne suis pas historien. Si mon modeste travail peut permettre aux vrais historiens de revoir sous un jour nouveau la disparition subite de l'Impératrice, un grand pas aura été fait. Si je suis dans l'erreur, il leur appartiendra d'argumenter.

Pour l'heure et en raison de leur conduite, je ne crains pas d'affirmer que les Bourbons ont démontré leur savoir-faire en endormant leur victime par des attitudes destinées à les couvrir devant l'Histoire. Ils sont rentrés en France, la haine au coeur, après vingt-trois années d'exil. Cette famille n'avait-elle pas été dépossédée de tous ses privilèges et de ses biens ? Qu'importe ! Ce Bonaparte, cet Usurpateur, n'avait-il pas été le continuateur de la Révolution ? N'était-il pas responsable de la mort du duc d'Enghien ? Louis XVIII et le comte d'Artois n'étaient-ils pas les frères de Louis XVI qui avait été guillotiné vingt et un an auparavant ? N'était-ce pas ce même Bonaparte qui, usant de l'arrogance qui sied souvent aux vainqueurs, avait écrit à Louis XVIII alors en exil, quatorze années plus tôt : «Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France. Il vous faudrait marcher sur 500 000 cadavres.» En ce printemps 1814, la roue venait enfin de tourner et l'heure des comptes allait enfin sonner !
 
Sources :

14 - Joséphine - pp. 602-603 - André Castelot - Perrin - 1964
15 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.268 - Ladvocat libraire - Paris 1838
16 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - pp. 287-288 - - Advocat Libraire - Paris 1828
17 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.270 - Ladvocat libraire - Paris 1838
18 -Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.271 - Ladvocat libraire - Paris 1838
19 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - p. 284 - Advocat Libraire - Paris 1828
20 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - p. 284 - Advocat Libraire - Paris 1828
21 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - p. 288 - Advocat Libraire - Paris 1828
22 - Joséphine - André Castelot - p. 611 - Librairie Académique Perrin - 1964
23 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - pp. 290-291 - - Advocat Libraire - Paris 1828
24 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.276 - Ladvocat libraire - Paris 1838
25 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.276 - Ladvocat libraire - Paris 1838
26 - Joséphine - André Castelot - p. 611 - Librairie Académique Perrin - 1964
27 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.276 - Ladvocat 1838
28 - Joséphine - André Castelot - p. 611 - Librairie Académique Perrin - 1964
29 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - pp. 292-293 - - Advocat Libraire - Paris 1828
30 - Joséphine - André Castelot - p. 613 - Librairie Perrin - 1964
31 - Mémoires sur l'Impératrice Joséphine - Georgette Ducrest - Vol. 2 - pp. 296-301 - - Advocat Libraire - Paris 1828
32 - Histoire des Salons de Paris - Duchesse d'Abrantès - Vol. 5 - p.277 - Ladvocat 1838
33 - Mémoires de Mademoiselle Avrillion, première femme de chambre de l'Impératrice, p.308, Mercure de France, 1969
34 - Mémoires de Mademoiselle Avrillion, première femme de chambre de l'Impératrice, p.310, Mercure de France, 1969


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au château de Malmaison


La terreur

Cette soudaine «maladie», puis la mort de leur mère, ne pouvait manquer de plonger Hortense et Eugène dans le plus grand désarroi. Cela ne vous aura pas échappé : Hortense et Eugène n'assistèrent pas aux obsèques de leur chère mère. Certains historiens ont invoqué l'étiquette des Cours ! De quelle Cour veut-on parler ? Il ne pouvait désormais y avoir d'autre Cour en France que celle du roi ! Non, ils furent tout simplement interdits d'obsèques. On leur a fait comprendre que leur présence incommoderait fortement le roi. Il ne pouvait être question de donner à cette cérémonie un caractère officiel. On ne devait pas porter en terre l'Impératrice Joséphine, mais bien la Beauharnais, ex-épouse de l'Usurpateur. On ne pouvait encore moins y tolérer la présence d'une ex-reine et d'un prince, vice-roi d'Italie, supposé être toujours en exercice. Le titre de duchesse de Saint-Leu accordé par le roi à Hortense le 20 mai précédent avait un prix ! En les empêchant d'assister aux funérailles de leur mère, on donnait aux souverains étrangers l'argument de leur désistement. Hortense invoquera plus tard dans ses mémoires, sa douleur et celle de son frère pour justifier leur absence et leur repli à Saint-Leu. Certes, ils furent affligés par cette perte cruelle, mais cela ne peut justifier cette retraite précipitée à Saint-Leu. Car elle fut bien précipitée ! C'est quelques heures SEULEMENT après la mort de leur mère qu'ils quittèrent Malmaison comme nous le rapporte Mlle d'Avrillion qui ayant appris l'horrible nouvelle en ce dimanche 29 mai, quitta Paris pour se précipiter au château de Malmaison : «Au moment où j'entrais par une grille du parc, j'aperçus le prince Eugène, la reine Hortense et ses enfants qui sortaient par une autre, se rendant tous à Saint-Leu.» § Ils ne purent pas même veiller une seule nuit la dépouille de leur pauvre mère qui ne fut pourtant enterrée que quatre jours plus tard ! Qui organisa les obsèques de l'Impératrice ? Sous quelle tutelle avait-on placée Malmaison et son personnel ? Autant de questions auxquelles je n'ai pu trouver de réponses, comme si l'on avait jeté volontairement un voile ténébreux sur cet épisode tragique. Eugène et Hortense adoraient leur mère, et seule une raison impérieuse a pu dicter leur étrange conduite. En réalité, le roi faisait souffler le chaud et le froid. Ils étaient terrorisés ! Quelques jours auparavant, Hortense, déjà bien contrariée par le mal qui allait emporter sa mère, fut informée par un journal, que son premier fils, Napoléon (1802-1807), décédé en Hollande, et qui reposait dans l'une des chapelles de la cathédrale Notre-Dame de Paris, venait d'être exhumé et ses cendres avaient été placées dans un cimetière communal ! Hortense et Joséphine en furent profondément meurtries. La bonté du nouveau roi n'avait décidément point de bornes.

Enterrement sans titre, ni couronne

L'Impératrice morte, le temps des honneurs était révolu pour les Beauharnais, coupables d'alliance avec l'Usurpateur. Les obsèques elles-mêmes furent de celles que l'on donne à un particulier. Il fut interdit d'apposer couronne et armoiries sur le linceul, ces symboles auraient par trop rappelé le souvenir d'une élévation qui n'avait plus désormais sa raison d'être. Et ces souverains étrangers, ceux qui se trouvaient encore quelques jours auparavant à flatter et à rassurer Joséphine, où étaient-ils ? Et ce bon Alexandre, pourquoi ne suivait-il pas le cortège funèbre de celle dont il se prétendait l'ami ? Il se contenta d'envoyer un détachement de sa Garde impériale et fit savoir «qu'affecté trop profondément de la mort de Sa Majesté, il voulait consacrer les trente-six heures qu'il avait encore à rester à Paris à l'excellent prince Eugène et à sa soeur.» Allons donc ! Le tsar mettra à profit ces trente-six heures pour, sans aucun scrupule, négocier à Eugène la magnifique collection de tableaux de Malmaison. Ces merveilles se trouvent encore aujourd'hui au musée de l'Hermitage à Saint-Pétersbourg en Russie ! Sans doute était-ce là, le prix de ses interventions auprès de Louis XVIII. Et monsieur le duc de Polignac dont la vie fut épargnée grâce à Joséphine, n'aurait-il pas montré la plus éclatante preuve de sa reconnaissance en menant au tombeau sa bienfaitrice ? Non, Joséphine morte, leur mission (à leur corps défendant, sans doute) était terminée et ils se feront représenter. Voila tout !

De l'Impératrice Joséphine, il ne saurait plus désormais être question. Son titre donnait la nausée à la famille royale et à ses partisans. On l'a lu plus haut, le Journal des Débats, pour annoncer sa mort, contournera la difficulté en nommant l'Impératrice «La mère du prince Eugène» Pour annoncer sa mort, ce pauvre Eugène lui-même sera «empêché» de nommer sa mère par son titre dans les faire-parts de deuil. Il décidera donc de ne pas les faire imprimer. Un comble, pour un personnage d'un si haut rang ! Il les rédigera lui-même de sa main. Il «omettra» même, tout comme Hortense, aux dires des historiens, de faire parvenir la triste nouvelle à celui qui demeurait leur père adoptif : Napoléon. De mon côté, je préfère croire à l'interception du faire-part par la police, aidé en cela par le service des postes, tant la ficelle est grosse.

Manipulé par Talleyrand, le comte d'Empire Beugnot qui devait à l'Empereur Napoléon sa bonne fortune, se mit aussitôt au service du roi. Voici comment il annonça à son nouveau souverain (deux jours après le décès de l'Impératrice) la mort de cette dernière dans son rapport de police quotidien. Ce texte, visiblement, a été écrit pour écarter tous soupçons à venir à l'endroit de la personne du roi, mais aussi à être versé aux archives. Chaque mot a été savamment choisi.






Rapport de police du 31 mai 1814
par Monsieur le comte Beugnot
(35)
«La mort de Mme de Beauharnais a excité généralement des regrets. Cette femme était née avec de la douceur et quelque chose d'élégant et d'aimable dans les manières et l'esprit. Elle n'était pas sans instruction et sans quelque goût des beaux-arts. Malheureuse à l'excès durant le règne de son mari, elle s'était réfugiée contre ses brutalités et ses dédains dans la culture de la botanique et avait été assez loin dans cette science aimable. Depuis sa retraite, elle avait fait de Malmaison un séjour enchanteur et riche de trésors de plus d'un genre. Le public était instruit des combats qu'elle livrait pour arracher des victimes à Bonaparte, et lui avait su gré d'avoir embrassé ses genoux pour sauver le duc d'Enghien. Seule au milieu de ces Corses fastueux, elle parlait la langue des Français et devinait leurs coeurs. La bonne compagnie lui donne des regrets. Le peuple, qui ne veut pas permettre aux personnages un peu fameux de mourir de leur mort naturelle, veut qu'elle ait été empoisonnée. La vérité est que, mal disposée mercredi dernier, lorsque l'empereur de Russie l'honora de sa visite, elle fit des efforts pour accompagner ce prince dans ses jardins et qu'elle a gagné un refroidissement dont elle a été si mal traitée qu'elle a succombé après quatre jours de maladie. Son fils, le prince Eugène, n'a point fait imprimer de billets de part, mais il en a envoyé à la main de fort modestes et où il a éludé la difficulté de donner des titres à sa mère. Il s'est retiré avec sa soeur dans la terre de Saint-Leu qui appartient à cette dernière.»





Document étonnant n'est-ce pas ! Ce n'est plus un rapport de police, c'est presque une biographie de Joséphine de Beauharnais ! On y dépeint Joséphine comme ayant été la meilleure des femmes, surtout à l'égard de ceux de l'Ancien régime. On y présente Bonaparte comme un homme brutal, dédaigneux et assassin. On y insulte les Corses. On y méprise le peuple. On continue néanmoins de ménager Eugène en lui donnant du prince et enfin, on confirme au roi son obéissance dans l'affaire des faire-parts et son retrait à Saint-Leu pendant la durée des obsèques, avec sa soeur Hortense. Le roi peut être rassuré. Tout s'est déroulé comme prévu !

Dans ce texte odieux, Beugnot se croit autorisé à rapporter l'opinion du peuple qui, écrit-il, croit à un empoisonnement. Il s'agit là d'une manoeuvre et personne ne doit s'y tromper. Que pouvait-il savoir de l'opinion du peuple moins de quarante-huit heures après la mort de l'Impératrice ? Il n'y avait à cette époque, ni radio, ni télévision et aucun journal ne s'est avisé d'y faire la moindre allusion. Beugnot s'est empressé de répondre à une question qui n'était pas encore posée ! La méthode est classique.

Déjà, en 1670, pour annoncer à Monsieur Mons de Ponponne la mort de la
duchesse d'Orléans, morte quelques heures après avoir avalé un verre de «chicorée», Hugues de LIONNE (1663-1671), marquis de Fresne, seigneur de Berny et ambassadeur de Louis XIV écrivit : «Sa Majesté est inconsolable, et avec beaucoup de raison; car on ne pouvait faire ici de plus grande perte, de quelque côté qu'on la regarde. Cependant, comme dans les morts subites des grands princes, le public est pour l'ordinaire fort enclin à soupçonner qu'elles peuvent avoir été précipitées, j'ai fait dresser pour votre information une petite relation de la manière dont cette disgrâce est arrivée, et de ses véritables causes.» Comme on le voit, les mêmes causes produisent souvent les mêmes «écrits» !

Le déguisement

Il ne restera plus désormais, qu'à accomplir la suprême formalité qui mettra définitivement à l'abri, les serviteurs zélés de Louis XVIII et de son frère. Joséphine étant décédée le 29 mai, la déclaration officielle de son décès ne sera effectuée que tout juste deux heures avant ses obsèques, le 2 juin 1814, soit quatre longs jours après sa mort. André Castelot, l'un de nos grands historiens français, dans son ouvrage consacré à Joséphine, voit en l'officier de l'état civil qui rédigea l'acte, un homme affolé qui finira par se résoudre à écrire les lignes suivantes :






Acte de décès
Registre d'état civil de la mairie de Rueil
Mil huit cent quatorze le deux juin à dix heures du matin.
Acte de décès de l'impératrice Joséphine, née Marie Joséphine Rose Tasher de Lapagerie le vingt quatre juin mil sept cent soixante huit, mariée à Napoléon Bonaparte Général en chef de l'armée d'Italie le huit mars mil sept cent quatre vingt seize, sacrée et couronnée Impératrice le Deux Décembre mil huit cent quatre, décédée dans son salon (sic) de la Malmaison, commune de Rueil, le vingt neuf mai dernier à midi. Sur la déclaration faite à nous par messieurs André de la Bonninière - marquis de Beaumont âgé de cinquante deux ans, Grand cordon des ordres de la couronne civile de Bavière et de la Fidélité de Bade, membre de la Légion d'honneur française... et de Pierre-Louis de Busset, âgé de soixante dix huit ans, ancien maréchal de camp, au service de France, chevalier de l'ordre Royal et militaire de St- Louis, tous deux domiciliés à Rueil, Et ont signé. Constaté et donné lecture de l'acte par nous Léonard Alexis Bertin maire de cette commune faisant les fonctions d'officier public de l'Etat civil soussigné...







Sur l'analyse de ce document capital, André Castelot, qu'il me pardonne, semble cruellement manquer de perspicacité. De toute évidence, le maire de Rueil n'a pas tracé ces lignes dans l'affolement. On les lui a dictées ! Le marquis de Beaumont ainsi que Pierre-Louis de Busset furent des témoins chargés de mission. Pour cette mission, Monsieur de Beaumont, grand chambellan de l'Impératrice, se verra imposer la présence d'un témoin dont la fidélité aux Bourbons était acquise depuis bien des lustres : Pierre-Louis de Busset. Natif de Rueil, il avait été sous Louis XVI lieutenant et grand juge de la Compagnie des Cent Suisses de la Garde Ordinaire du Roi. Rien de moins ! On ne pouvait espérer trouver dans la commune de Rueil, personnage plus sûr. Aller le dénicher dans sa paisible retraite (il avait soixante dix-huit ans) pour une formalité, somme toute assez classique, est lourd de signification.

Rendre son titre à l'Impératrice, rappeler qu'elle fut «sacrée et couronnée» sur son acte de décès relève de la poudre aux yeux destinée là encore aux historiens. Si l'acte eût comporté la mention «mariée à Napoléon 1er, ex-Empereur des français», la chose eût pu être crédible. En l'état, elle ne l'est pas ! Rappeler son mariage avec «Napoléon Bonaparte Général en chef de l'armée d'Italie» est la preuve flagrante d'une intervention externe ne pouvant émaner que du roi ou de son entourage. Par mépris, l'Empereur Napoléon ne sera plus nommé jusqu'à sa mort que par son grade : général Bonaparte ou Buonaparte. Journaux et écrivains s'y conformeront sous peine de poursuites ! Lorsqu'il sera captif des anglais en 1815, et jusqu'à sa mort, ces derniers agiront de la sorte. Ce mépris délibéré était du reste parfaitement contraire à l'article 2 du traité de Fontainebleau qui stipulait : «LL. MM. l'empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise conserveront ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant.» Ce document est accablant et porte en lui la signature de ses auteurs fleurdelisés !

Le commanditaire

On le voit bien, sauf à être toujours aveuglé par cette poudre aux yeux royale répandue ici et là pour travestir la réalité, les Bourbons ne sont pas étrangers à la mort de l'Impératrice Joséphine. Tout dans leur conduite porte la signature du crime qu'ils ont commandité, comme ils s'efforceront, avec quelques bourses remplies d'or, de recruter des hommes pour tenter de faire enlever et d'assassiner l'Empereur Napoléon exilé à l'île d'Elbe.

Il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à un cas d'empoisonnement tel qu'on savait le pratiquer à l'époque. On affaiblissait alors la victime en lui faisant prendre le poison de façon espacée. Lorsque l'état général était bien affaibli, on donnait alors le coup de grâce ! Ce dernier lui sera donné une première fois le 25 mai. L'Impératrice aura alors la gorge en feu, symptôme entre autres de l'empoisonnement à l'arsenic. Dotée d'une constitution robuste, Joséphine, bien que considérablement affaiblie, n'en rendra pas l'âme pour autant. Au contraire, dès le 26 mai, son organisme reprendra le dessus, à tel point que la duchesse d'Abrantès, qui lui rendit visite ce jour là, se vit proposer une promenade au Butard pour le 28 en compagnie de l'ambassadeur d'Angleterre, et quitta l'Impératrice, "très peu alarmée pour sa santé.". Voila qui ne dut pas faire les affaires du criminel, puisque le surlendemain 28, il lui infligera un nouveau coup de grâce qui, cette fois, sera le bon.

Dans ses Mémoires (35bis), la reine Hortense nous apprend qu'au matin du 28 mai, sa mère avait bu un verre d'eau de Sedlitz de fort bonne heure, espérant se dégager la poitrine, et ce fut là, pense-t-elle, la cause d'une plus grande irritation. En vain, ajoute-t-elle, pour me tranquiliser, son médecin qualifiait-il toujours ce mal de simple rhume.

La thèse selon laquelle le mal aurait emporté Joséphine en trois ou quatre jours n'est pas plus réaliste que la cause du mal. Le meurtre s'est opéré sur dix-neuf jours. Du 10 au 29 mai !

Le docteur Horeau s'est montré d'une telle incompétence qu'on a peine à imaginer qu'elle fut réelle. Soutenir le diagnostic du rhume, envers et contre tous, relève sinon de sa culpabilité, du moins de sa complicité. En soignant l'Impératrice pour un simple rhume, il a permis au poison, qu'une main criminelle lui servait au moment des repas, d'agir selon un scénario bien rôdé. Pourtant le Dr Horeau, au lendemain du malaise de Saint-Leu, soit le 15 mai, soupçonna bien l'empoisonnement puisqu'il prescrivit l'émétique, ce médicament vomitif à base de mercure, bien que l'émétique soit fortement déconseillé comme le rappelait déjà quatorze années auparavant Étienne-Louis Geoffroy, dans son manuel de médecine pratique, paru chez G. De Bure aîné, Paris, 1800.

L'auteur a écrit :
«L'arsenic, cette substance métallique et saline, dont les effets malheureux sont si connus, est un poison très-actif, qui, à l'extérieur, fait l'effet d'un caustique, et qu'on ne doit guère employer extérieurement, encore moins à l'intérieur, quoique quelques médecins anglois l'aient proposé à petite dose, comme fébrifuge.

symptômes. quand une personne a eu le malheur de prendre de l'arsenic, elle sent d'abord un froid qui se répand par tout son corps, mais surtout aux extrémités. A ce froid succède une chaleur intolérable dans le gosier, l'oesophage et l'estomac, un abattement, des défaillances et des vomissemens. Ensuite la fièvre s'allume avec des mouvemens convulsifs,la paralysie de différens membres, de violentes tranchées, et enfin des sueurs froides qui sont suivies de la mort. Ce terrible poison ne manque guère de faire périr, si après les premiers vomissemens, le pouls reste petit et enfoncé, si le ventre est resserré et rentré, ou si les matières que rend le malade ont une odeur infecte et putride.

traitement. le traitement de cet accident est à peu-près le même, que pour les poisons acides. Ainsi, lorsque le médecin arrive assez tôt, et que l'arsenic est encore dans l'estomac, il tâchera d'exciter le vomissement pour le faire rejetter, non en employant l'émétique, qui irriteroit encore l'estomac, mais par le moyen de l'eau tiède, de l'huile, des bouillons gras, des décoctions mucilagineuses, auxquels on joindra quelques grains de foie de soufre, si on en a sous la main. Si la fièvre, qui survient, est vive, et que le malade soit sanguin et pléthorique, on peut faire une saignée.[...]

Il semble pour le moins incroyable que le Docteur Horeau ait ignoré ces prescriptions, lui l'élève du grand Corvisart, médecin de l'Empereur Napoléon.

Que s'est-il passé ensuite ? Reçut-il des instructions pour maintenir le diagnostic ridicule du rhume et ne délivrer ses soins que pour cette affection bénigne ? Nous sommes en droit de le penser. Attaché à la Maison de l'Impératrice depuis l'époque du divorce, son avenir ne risquait-il pas d'être remis en cause en raison des incertitudes politiques qui entouraient le sort de l'Impératrice et de sa famille ? Comme bon nombre de serviteurs de l'Empire au début de la Restauration, il dut choisir son camp ! Lorsque Napoléon reprendra le pouvoir moins d'un an plus tard, il questionnera le Dr Horeau sur la maladie de l'Impératrice :

- Vous n'avez pas quitté l'Impératrice pendant toute sa maladie ?
- Non, sire.
- Quelle a été, selon vous, la cause de cette maladie ?
- L'inquiétude...le chagrin...
- Vous croyez ? D'où venait ce chagrin ?
- De ce qui se passait, sire; de la position de Votre Majesté. De ce qui se passait surtout... De ce qui allait se passer pour elle !
(36)

Donc, de ce qui risquait de se passer pour lui ! Comme le coup du «rhume» lui collait à la peau, il n'osa pas le resservir à l'Empereur. Il opta pour «l'inquiétude et le chagrin», tant il est vrai que c'est avec un médicament vomitif que l'on combat habituellement l'inquiétude et le chagrin ! Un mensonge en entraînant un autre, il ajouta : «Sa Majesté éprouvait peu de souffrances.» (37) Ce qui est parfaitement faux comme on l'a vu dans les différents témoignages des proches de l'Impératrice.

Puisse le dernier document qui va suivre, confondre une dernière fois le commanditaire. Cela nécessite un rappel. Le fameux traité de Fontainebleau qui fixait le sort de l'Impératrice Joséphine en lui accordant 1 000 000 F. et la jouissance de tous ses biens, mais n'avait pas été ratifié par le roi, ce traité ne sera approuvé par le roi qu'après que ce dernier eut confirmation de la mort de l'Impératrice Joséphine par le rapport officiel du comte Beugnot publié plus haut, c'est à dire le 31 mai 1814. Talleyrand sera chargé d'annoncer la bonne nouvelle. Deux jours après les obsèques de Joséphine, le roi le nommera pair de France à vie, avant de le titrer prince de Talleyrand quelques mois plus tard, prix de ses «services» au rétablissement de la paix générale.





Déclaration en forme d'accession au nom de Louis XVIII.
- Je soussigné, ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, ayant rendu compte au roi de la demande que Leurs Excellences Messieurs les plénipotentiaires des cours alliées ont reçu de leurs souverains l'ordre de faire relativement au traité du 11 avril, auquel le gouvernement provisoire a accédé, il a plu à sa Majesté de l'autoriser, de déclarer en son nom que les clauses du traité à la charge de la France, seront fidèlement exécutées. Il a, en conséquence, l'honneur de le déclarer par la présente à Leurs Excellences.
Paris, le 31 mai 1814.
Signé le prince DE BÉNÉVENT.
[Talleyrand]

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Vous avez bien lu ! 31 mai 1814. Il faudrait être bien naïf pour voir dans cet engagement du roi et deux jours après la mort de la seconde principale bénéficiaire, un hasard fortuit de calendrier, combien même la paix générale fut-elle signée au lendemain de la mort de Joséphine. De qui se moque-t-on ? On le sait, l'Impératrice morte, le roi ne respectera pas davantage son engagement à l'égard de Napoléon, sagement installé à l'île d'Elbe. Il ne recevra pas le moindre franc ! Ce qui aura pour conséquence, entre autres, de précipiter son retour moins d'un an plus tard.




Le mobile de l'assassinat
La situation bien particulière de Joséphine après l'effondrement de l'Empire justifiait-elle son élimination physique ? Son seul tort était-il d'avoir été l'épouse d'un empereur déchu ? Etait-elle détentrice d'un terrible secret que le roi ne souhaitait pas voir jeter en pâture à l'opinion publique ? Cette dernière question ne peut être écartée, ne serait-ce que par l'abondance d'encre qu'elle fit couler au 19ème siècle. Alors, me direz-vous, quel pouvait être ce secret qui la précipita dans la tombe sitôt la royauté rétablie ? Ce secret ne serait-il pas en rapport avec «l'Affaire du Temple» qui défraya la chronique tout au long du dix-neuvième siècle ? Rappelons les faits brièvement : Le 13 août 1792, en pleine révolution française, la Convention décide d'incarcérer le roi Louis XVI et sa proche famille au Temple. A savoir : Marie-Antoinette (1755-1793), épouse du roi, Madame Elisabeth de France (1764-1794), soeur du roi, ainsi que les deux enfants du couple royal, Marie-Thérèse-Charlotte (1778-1851) et Louis-Charles (1785-1795?), âgé de sept ans, dit le Dauphin. Nous passerons sur les conditions odieuses de leur détention qui n'honorent pas la mémoire de ceux qui la supervisèrent.

Le roi, la reine et la soeur du roi furent jugés, condamnés à mort et exécutés. En 1795, seuls, étaient encore retenus prisonniers au Temple, les deux enfants de Louis XVI et de Marie-Antoinette. A la mort de Louis XVI, le jeune Dauphin pouvait donc, en toute légitimité, être appelé Louis XVII par les monarchistes. Il devenait ainsi leur nouveau roi. Sa mort survint officiellement le 8 juin 1795 dans sa prison du Temple. Sa soeur, Marie-Thérèse, sera libérée le jour de ses dix-sept ans, soit le 19 décembre suivant pour être conduite à la frontière suisse afin d'y être échangée contre des prisonniers français (le général Beurnonville, les ambassadeurs Maret et Sémonville) retenus par l'empereur François II d'Autriche, futur beau-père de Napoléon. L'enfant décédé, la couronne de France revenait de plein droit à son oncle, alors en exil, le comte de Provence (1755-1824), frère de feu Louis XVI. Prenant alors le nom de Louis XVIII, il s'empressa d'en informer les Cours européennes afin d'être reconnu d'Elles. Ce qui fut fait.

Cette affaire aurait pu en rester là. Seulement la mort du jeune roi fut rapidement contestée et l'on parla bien vite de son évasion et de sa substitution par un autre enfant au Temple. Barras (1755-1829), l'un des principaux tombeurs de Robespierre se rendra au Temple le 28 juillet 1794 visiter les malheureux enfants du roi guillotiné. Cette visite est mentionnée dans les mémoires de l'ex-captive Marie-Thérèse, future duchesse d'Angoulème. Qui poussa le régicide Barras à se rendre auprès des enfants royaux ? Etait-ce sur les conseils de Joséphine qui à cette époque était sa maîtresse ? Nous sommes en droit de le penser. Pour cette époque, les interventions de Joséphine au profit des royalistes sont désormais bien connues. Barras, au lendemain de sa visite au Temple procédera au remplacement du précepteur de l'enfant-roi, l'exécrable Simon. Il nommera à sa place un homme de confiance s'appelant Jean-Jacques Laurent, créole de la Martinique comme Joséphine, qui veillera sur l'enfant du 29 juillet 1794 au 31 mars 1795, date à laquelle il sera remplacé à son tour par Etienne Lasne. Son départ le 31 mars 1795 était-il en rapport avec la pseudo-évasion ? Pourquoi ne pas l'avoir maintenu à son poste jusqu'à la mort de l'enfant annoncée trois mois plus tard ? Le départ de Laurent coïnciderait-il avec cette machination ?

Y a-t-il eu réellement substitution d'enfant et évasion au profit du jeune Louis XVII ? C'est ce que certains ont affirmé. Le rôle de Joséphine a été à de nombreuses reprises mis en avant dans cette affaire. Dans son Histoire de Louis XVII, Edouard Burton nomme les protagonistes de l'enlèvement de l'enfant : Mme de Beauharnais, le général de Frotté, Ojardias, Joseph Paulin, la comtesse de Emilie des Cars et Mme Athlins, duchesse de Ketteringham.
§ Malheureusement, tout ce qui touche au mystérieux suscite bien souvent des vocations et le dix-neuvième siècle verra apparaître au fil des années de nombreux imposteurs qui tenteront de se faire passer pour Louis XVII. Il semble pourtant que deux (!) d'entre eux furent pris au sérieux : le baron de Richmont (1785-1853) dont le roi Louis-Philippe aurait offert la main de sa fille Clémentine à la condition qu'il renonce à ses prétentions. Ce qu'il refusa tout net. Eugénie de Guérin qui le prenait pour un charlatan, écrira à son père le 23 février 1841 : «Ce qui est frappant, c' est une singulière ressemblance avec le profil de Louis XVI.» (38)
On lira avec intérêt son histoire, parmi celles de ses nombreux concurrents dans Les faux Louis XVII par Léon de la Sicotière Paris, V. Palmé, 1882. Selon cet auteur, il mourut le 10 août 1853, d'une apoplexie foudroyante au château de Vaux-Renard à Gleizé, proche de Villefranche. «Il demeurait [depuis une dizaine de jours] chez la comtesse d'Apchier, dont le mari avait été page de Louis XVI. [...] On avait gravé sur la tombe du défunt l'inscription suivante :
Ci-gît
Louis Charles de France
né à Versailles le 27 mars 1785
mort à Gleizé le 10 août 1853
En 1858, la police fit disparaître cette inscription qui fut ainsi remplacée :
1785
Nul ne dira sur ma tombe
Pauvre Louis
Que tu fus à plaindre !
Le second, Charles Guillaume NAUNDORFF, tentera d'obtenir la reconnaissance de ce qu'il prétendait être sa véritable identité, sans succès. Une analyse ADN dont les conclusions ont été rendues en avril 2000 est venue infirmer les prétentions des descendants du sieur Naundorf. Encore que les prélèvements choisis pour cette analyse sont fortement mis en cause. L'analyse fut aussitôt contestée par ses partisans, mais aussi par le Dr Olivier Pascal du CHU de Nantes, expert près la Cour de cassation. Après avoir parcouru l'Europe, notre prétendant se fixera en janvier 1845 à Delft (Hollande). Inventeur d'un procédé pyrotechnique, le roi Guillaume II de Hollande l'autorisera à diriger une usine dans cette ville. Sept mois plus tard, il sera pris de violents vomissements et après une agonie de huit jours s'éteindra le 10 août 1845. La Hollande (dupée ?) autorisera ses descendants à porter le nom de Bourbon et ne s'opposera pas à cette inscription sur sa tombe :
Duc de Normandie
Louis XVII
Roi de France et de Navarre
 
De toute évidence, nous sommes confrontés à un Louis XVII de trop ! Ce qui m'incite à m'abstenir d'évoquer les nombreux autres prétendants. Ce n'est d'ailleurs pas l'objet de cette étude.

Si Joséphine avait réellement participé à l'évasion de Louis XVII et favorisé sa sécurité en le plaçant chez quelques parents adoptifs, en 1814 elle détenait à coup sûr une arme redoutable contre Louis XVIII. En faisant réapparaître Louis XVII, c'est toute la légitimité de Louis XVIII qui s'écroulait ! Il usurpait alors la couronne et le trône au détriment de son propre neveu, toujours vivant ! Qu'un sombre témoin de l'affaire eût voulu parler, on l'aurait écouté et immédiatement interné à Charenton sans que l'affaire troublât l'opinion. En revanche, le témoignage d'une impératrice aurait eu de quoi ébranler les partisans de Louis XVIII et attirer à Elle le soutien d'une partie non négligeable de la population.

Dans sa récente et remarquable biographie sur Joséphine, Françoise Wagener écrit : «Cette mort foudroyante a un énorme retentissement : Joséphine était universellement aimée, elle ne laissait que de bons souvenirs autour d'elle. Son entourage est inconsolable, le peuple, la société, les souverains, tous sont atterrés de la soudaineté de sa disparition. À tel point que des rumeurs se font jour : pourquoi la bonne Impératrice a-t-elle été enlevée si vite ? Aimée de Coigny, la mieux informée toujours, évoquera crûment Barras sachant «le secret de la substitution du Dauphin [au Temple]. Par-là, il a tenu, il tient tous ceux qui l'ont entouré ou qui lui ont succédé. Quelqu'un qui en savait autant, qui a eu le tort d'en parler mal à propos, malgré son rang en est morte». Ce quelqu'un, ajoute Françoise Wagener, c'est Joséphine, qui, bien sûr, se trouvait aux côtés de Barras, en 1795, et qui si elle en parla «mal à propos», le fit au Tsar, en ces jours d'avril et de mai 1814. Dans les milieux royalistes, on étouffa bien vite ces échos.»
(39) Joséphine avait-t-elle réellement participé à cette évasion ? S'en était-elle ouverte auprès du Tsar Alexandre pour mieux appuyer quelques revendications ? N'attendait-elle pas du roi qu'il lui confirmât son titre de duchesse de Navarre accordé par Napoléon ?

Quoi que le Tsar Alexandre ne portait pas les Bourbons dans son coeur, s'il reçut de Joséphine cette confidence, il voulut sans doute en obtenir confirmation auprès de Monsieur de Talleyrand qui avait contribué au retour de Louis XVIII. La suite est aisée à deviner. Sa maladresse, si ce fut le cas, aura été fatale à Joséphine.

Sa majesté très-catholique régnera de 1814 à 1824 (excepté les Cent-jours de 1815). Le roi avait-il un doute quant à la survie de son jeune neveu ? Redouta-t-il la colère de Dieu ? Toujours est-il qu'il renonça à se faire sacrer roi de France comme le veut l'usage ! Renoncement fort curieux, non ? Son frère, le comte d'Artois et futur Charles X, son heure venue, n'aura aucun scrupule.

Conclusions


J'entends déjà s'élever les protestations des partisans de l'historiquement correct. Ceux qui ne donnent de crédit qu'aux versions officielles. Les historiens abusés dans cette affaire se comptent à la pelle. Je trouve infiniment navrant que certains d'entre eux abandonnent leurs investigations dès lors qu'on leur présente un compte-rendu officiel d'autopsie. Quand il s'agit d'un crime d'Etat, il va de soi que toutes les précautions sont prises pour le déguiser. Rien n'est laissé au hasard. Pas même le choix du médecin-légiste. Aussi, je suis bien triste lorsque je relis l'éminent historien que fut Paul Fleuriot de Langles dans un article qu'il écrivit en juillet 1964 pour la Revue de l'Institut Napoléon, p. 101 : «Si rapide qu'eût été cette mort, le procès-verbal d'autopsie invite à ne rien retenir de l'hypothèse selon laquelle Joséphine aurait été victime d'un empoisonnement.» Partant de là, l'affaire est entendue et il n'y a plus à revenir dessus ! Un peu commode, non ? Plus proche de nous, cela me rappelle également l'éloge funèbre que prononça Philippe Seguin, alors président de l'Assemblée Nationale, le 18 mai 1993, à l'occasion des obsèques de monsieur Pierre Bérégovoy, ancien Premier ministre et dont le suicide officiel suscita quelques doutes parmi ses proches et dans une partie de l'opinion. «[...] Préservons aujourd'hui le mystère du geste qui brisa cette vie. [...] Il y a eu assez d'exégèses de cette mort brutale, assez d'hypothèses agitées, de théories répandues et de certitudes assenées pour ne pas en ajouter de nouvelles.» Loin de moi l'idée de sous-entendre quoi que ce soit sur la cause réelle du décès de Pierre Bérégovoy. En revanche, les propos tenus par Philippe Seguin étaient-ils réellement commandés par un désir d'apaisement face à la rumeur qui circulait dans l'opinion ? On ne peut en douter ! Mais reconnaissons que ces propos ont dû être ressentis bien cruellement par les partisans du suicide déguisé qui y ont probablement vu une invite à la justice à préserver le mystère. Comme pour cette dernière, il n'est pas du rôle de l'historien d'avoir à préserver des mystères, mais bien à les résoudre !

Pour ma part, devais-je me taire face à tous ces éléments qui attestent que la mort de l'Impératrice Joséphine ne fut point une mort naturelle ? Je veux bien croire qu'elle fut la victime d'un «refroidissement», mais seulement dans le sens populaire du terme : on l'a «refroidie !»

Pour de nombreux criminels, la mort par empoisonnement est restée fort longtemps la méthode la plus sûre pour se débarrasser de quelqu'un sans risquer de se faire prendre. Les symptômes des poisons ingurgités présentaient souvent l'avantage d'être confondus avec ceux de maladies bien réelles. Les médecins furent bien longtemps bernés. Certains criminels ne se firent prendre qu'en raison du trop grand nombre de gens qu'ils faisaient passer de vie à trépas. Ce fut le cas de la célèbre marquise de Brinvilliers au XVIIIème siècle. Au XIXème siècle, ce fut également le cas d'Hélène Jegado, femme de chambre, native de Plouhinec (56), qui fut reconnue coupable d'avoir empoisonné 23 personnes à l'arsenic. Condamnée à mort, elle fut guillotinée à Rennes en 1852. En revanche, si l'assassin se montrait «raisonnable», son crime pouvait parfaitement tromper l'entourage de sa victime ainsi que le médecin de cette dernière.

Dans un autre genre, la propre mère de Joséphine sera victime d'une tentative d'empoisonnement par l'adjonction de verre pilé dans ses aliments en 1806. Ainsi faisant, la coupable espérait obtenir la mort de sa victime par hémorragie interne. Elle sera démasquée, jugée et condamnée à être brûlée vive. La sentence sera exécutée au lendemain du jugement.
(40) Il serait fastidieux de rappeler ici le nom de toutes les victimes d'empoisonnement pour raison d'Etat que compta l'histoire du monde et dont les commanditaires ne furent jamais inquiétés. Cepandant, que l'on veuille bien me pardonner d'avoir ici une pensée particulière pour la reine Caroline d'Angleterre, princesse de Galles (1768-1821) qui tomba malade le 30 juillet 1821 alors qu'elle se trouvait au théâtre de Drury-Lane et succomba le 7 août suivant d'un «refroidissement» et d'une «inflammation d'entrailles.» Son mari, Georges IV, venait d'accéder au trône et ne la voulait point pour reine. Il demanda le divorce. Les tribunaux le lui refusèrent quelques semaines seulement avant la cérémonie du sacre. Juridiquement parlant, rien ne s'opposait plus désormais à ce que la princesse de Galles soit sacrée reine d'Angleterre. Quinze jours avant la cérémonie du sacre, il lui fut fait interdiction d'y paraître. Ne pouvant divorcer, Georges IV ordonna probablement son empoisonnement, ce qui lui permit de se faire sacrer seul ! Les obsèques de la reine "outragée" faillirent tourner à l'émeute ! La destinée tragique de cette princesse de Galles en évoque curieusement une autre : celle de Lady Diana dont les circonstances de la mort ne sont pas acceptées par tous, encore que la thèse accidentelle semble la plus sérieuse. Néanmoins, il est des morts bien arrangeantes ! C'est sous ce même Georges IV, alors prince-régent d'Angleterre, que Napoléon sera trompé et déporté à Sainte-Hélène jusqu'à sa mort par empoisonnement lui aussi, en 1821, comme l'a démontré, avec un talent et une ténacité qui forcent le respect, le canadien Ben Weider, en sollicitant les plus éminents toxicologues mondiaux.

Depuis fort longtemps, les propriétés mortelles de certaines plantes étaient connues. En respirer certaines n'est pas sans risque. Des mains criminelles versaient parfois, quelques pincées de poudre toxique sur les oreillers, les vêtements et même des bouquets de fleurs ! Certaines décoctions étaient vendues fort chères à qui savait où s'en procurer. Longtemps les plantes tinrent la vedette au fond des petites fioles qui circulaient sous le manteau. Puis vinrent les poisons chimiques. L'arsenic régna alors en maître. Il présentait le délicieux avantage d'être inodore et sans saveur. Un savant dosage permettait l'obtention d'une mort foudroyante dont la crise qui précédait s'apparentait à une crise «apoplexique». Mais plus souvent, on servait à la future victime des doses infinitésimales, sur une période pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois, de telle sorte que l'entourage suivait l'évolution du mal sans en soupçonner la cause réelle. La mort survenait inéluctablement. On diagnostiquait alors «l'infection pulmonaire». En réalité, c'était tout le corps qui était infecté. Bien des médecins furent bernés par ces deux méthodes.

A propos de l'annonce officielle de la mort par «apoplexie» du tsar Paul 1er, le prince de Talleyrand écrira : «Ils pourraient changer de temps en temps.»
(41) Le prince de Talleyrand n'a jamais compté au rang des naïfs. Cela se saurait ! Je ne puis m'empêcher de rappeler ici que le prince Eugène, fils de Joséphine, mourra à son tour en 1824, d'une crise «d'apoplexie» à l'âge de 42 ans et 5 mois. Bien que vivant en Allemagne sitôt après la mort de sa mère, aux yeux de bien des bonapartistes de France, il demeurait toujours un recours face aux Bourbons. Quant au malheureux fils de Napoléon retenu prisonnier à Vienne, il mourra à l'âge de 21 ans et 4 mois d'une «maladie de poumons». Je note encore que le Docteur Béclard, médecin-légiste qui pratiqua l'autopsie du corps de Joséphine, décèdera le 16 mars 1825 à l'âge de 39 ans. Ce décès prématuré l'empêchera d'assister au sacre du comte d'Artois qui se déroulera le 29 mai suivant, soit onze années jour pour jour après la mort de Joséphine. Le comte d'Artois s'est-il débarassé de celui dont il sollicita la complicité en mai 1814 ? On ne le saura sans doute jamais.

La chute de l'Empire et la Restauration, commandèrent aux plus intuitifs la plus extrême prudence, mais personne n'était dupe. En ce printemps de 1814, la France était toujours envahie par les armées étrangères. Elle comptait ses morts et pansait ses blessures. A part cela, sur la demande de Talleyrand, Beugnot et Pasquier avaient fait dire au comte d'Artois dans le Moniteur, pour saluer le retour du roi : «Rien n'est changé en France; il n'y a qu'un français de plus !» Il y avait surtout une impératrice de moins ! La version officielle du décès de l'Impératrice Joséphine ne suscitera donc aucune protestation. Pas même de sa famille.

Barras écrira dans ses mémoires : «Depuis la mort de cette femme, il lui est échu un trousseau de vertus extraordinaires. On a voulu surtout lui donner la bonté en partage, et il est proverbialement reçu de dire : «la bonne Joséphine».
(42) En effet, sitôt après sa disparition, le gouvernement autorisera, pour ne pas dire encouragera, la publication de nombreux petits ouvrages à la mémoire de cette bonne «Joséphine» qui ne laissait derrière Elle que des regrets. Comble du raffinement posthume, on l'y présentera comme un modèle de dévouement à la royauté ! Dans l'un d'eux, on lui fera dire sur son lit d'agonisante : «Le sang a trop longtemps coulé. Souverains légitimes, les Bourbons rentrent dans des droits imprescriptibles; rien ne doit plus s'opposer à leurs généreux desseins. Je meurs en faisant des voeux sincères pour leur bonheur et la prospérité de leurs états.» (43) Tous ces mensonges et autres louanges posthumes n'avaient qu'un but : endormir le peuple ! A cet égard, ce fut amplement réussi, car j'ai le regret de le constater après bientôt deux siècles écoulés : il dort encore !


Tombeau de Joséphine

Joséphine reposera onze années dans la cave du presbytère de Rueil, jusqu'à ce que le tombeau érigé dans une des chapelles de l'église Saint-Pierre Saint-Paul et commandé par Eugène et Hortense soit prêt à recevoir ses restes mortels. On peut toujours l'y voir, priant à genoux, représentée sous la forme d'une statue en marbre blanc de Carrare.(Oeuvre de Cartellier). Attitude qui n'est pas sans rappeler celle qu'elle adopta un certain deux décembre 1804, quand elle reçut des mains de l'Empereur Napoléon 1er, la couronne qui faisait d'elle la première impératrice d'une dynastie qui allait étonner le monde.

Le monument, qui fut dessiné par l'architecte Berthaud, sera terminé en 1825. Le comte d'Artois ayant succédé à son frère Louis XVIII sous le nom de Charles X, afin de ne pas lui déplaire, on taira son titre à l'impériale défunte. On gravera simplement sur le socle du monument :
A
JOSEPHINE
HORTENSE ET EUGENE
1825


L'année de sa mort ne devant pas être associée à la première Restauration de 1814, on se gardera bien de la faire figurer. Ainsi faisant, on justifiera plus aisément l'absence de celle de sa naissance ! Troublant, non ? Si sa fille Hortense repose bien dans cette église, son tombeau est situé dans une autre chapelle. Quant à son fils Eugène, depuis 1824, il repose dans la crypte des rois de Bavière à Munich. Autre précision de taille que nous rapporte sa servante : «Le monument de l'Impératrice est placé près de celui où reposent les restes de M. Tasher, oncle de Sa Majesté, qu'elle-même lui avait fait ériger, et dont en 1816, on a fait disparaître les inscriptions(44) A-t-on fait disparaître également le coeur et les entrailles de Joséphine qui furent placés après l'autopsie dans une boite de vermeil, elle-même déposée dans son tombeau le jour des funérailles ? Les descendants de l'Impératrice seraient bien inspirés de s'en assurer. Car en confiant cette boite de vermeil à un laboratoire scientifique, malgré les années écoulées, peut-être pourrions-nous encore découvrir la nature du poison qui emporta la première épouse de Napoléon un dimanche de Pentecôte, dans la maison du mal, en cette fin de mai 1814.

Nous donnerons le mot de la fin à Monsieur de Talleyrand, prince de Bénévent, grand diplomate, expert en intrigues de toutes sortes et dont le cerveau, après sa mort, finira dans les égouts de Paris :
«Un monarque n'est jamais cruel sans nécessité; les gouvernements commettent des fautes, jamais de crimes. Un criminel ne redevient dangereux que lorsqu'il est gracié; il n'y a que les morts qui ne racontent pas d'histoire et qui ne reviennent pas. Quant au remords, c'est l'indigestion finale des imbéciles qui manquent d'estomac.» (45)


A. Martin - Mai 2002

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Détails et Archives
 
Sources :

35 - Napoléon et la police sous la première Restauration - d'après les rapports de police du comte Beugnot au roi Louis XVIII - Annotés par Eugène Welvert - pp. 20-21 - Roger et Chernoviz - SD
(35bis) - Mémoires de la Reine Hortense / publiés par le prince Napoléon ; avec notes de Jean Hanoteau - Vol. 2 - pp. 246-247 - Plon (Paris) - 1927
36 - Joséphine - André Castelot - p. 616 - Librairie Académique Perrin - 1964
37 - Mémoires de Mademoiselle Avrillion - Première femme de chambre de l'Impératrice - p.312 - Mercure de France - 1969
38 - Lettres d'Eugénie de Guérin -1831-1847 pp. 409 - publ. avec l'assentiment de sa famille - par G. S. Trébutien - Paris INALF - 1961
39 - L'Impératrice Joséphine - par Françoise Wagener - pages 402 et 403 - Grandes Biographies - Flammarion, 1999
40 - L'Impératrice Joséphine - par Françoise Wagener - pages 89, 90, 415 à 426 - Grandes Biographies - Flammarion - 1999
41 - La confession de Talleyrand - 1754-1838 - Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord - Ed. L. Sauvaitre - Paris 1891
42 - Mémoires de Barras - Membre du Directoire - tome 4 - P. 314 - Paris - Hachette - 1896
43 - L'Impératrice Joséphine - Bernard Chevallier et Christophe Pincemaille - pp. 432,433 - Presses de la Renaissance - Paris, 1988
44 - Mémoires de Mademoiselle Avrillion - Première femme de chambre de l'Impératrice p. 317 Mercure de France - 1969
45 - La confession de Talleyrand - 1754-1838 - Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord - p. 142 - Ed. L. Sauvaitre - Paris 1891

 
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8.10.2002 - Jacques Macé ne croit pas à un assassinat
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Journées napoléoniennes d'Ajaccio
La 15e édition des Journées napoléoniennes qui s'est tenue à Ajaccio du 13 au 15 août fait l'objet d'un diaporama sur le site de Corse-matin. Nous vous invitons à le découvrir : cliquez ici

Les Hommes de Napoléon. Témoignages 1805-1815
Présenté par Christophe Bourachot
Officier dans la tente de l'Empereur ou simple soldat qui marche au pas, jeune conscrit de seize ans ou vieux briscard de quarante... Tous, ils l'ont suivi jusqu'à Moscou en passant par Austerlitz, Iéna, Wagram, mais aussi Madrid et Baylen. Ils le suivront encore au-delà de la Bérézina et, pour finir, à Waterloo... Ce sont les hommes de Napoléon.
Plus de neuf cents pages d'extraits choisis de Mémoires et de lettres intimes pour constituer une narration chronologique depuis 1805, date de la création de la Grande Armée, jusqu'à Waterloo — sans oublier les récits de captivité, dont ceux, stupéfiants, sur Cabrera.
Editions Omnibus - En librairie le 17 mars 2011

Camille Bartoli. Napoléon.
De la vie secrète de Napoléon à l'île d'Elbe à l'ultime chance de l'Europe.
Après une campagne de France où ses armées sont submergées par le nombre, Napoléon 1er abdique sans conditions, le 6 avril 1814. Par le taité du 11 avril, il reçoit un royaume réduit à l'île d'Elbe tout en conservant son titre d'empereur. En Elbe, il va prouver ses qualités d'organisateur, mettant en valeur cette île enchanteresse tout en préparant secrètement un retour fracassant dans la vie publique française.


Albert Benhamou. L'autre Sainte-Hélène.
La captivité, la maladie, la mort, et les médecins autour de Napoléon
Puisant principalement ses sources parmi les manuscrits de l’époque, dont certains encore inédits en France, et les contrastant avec les récits et mémoires publiés de façon ultérieure, l’ouvrage constitue « L’autre Sainte-Hélène », celle des vérités et des mensonges, moins connus du public, avec, pour fil conducteur, ces médecins qui ont été les acteurs, volontaires ou non, des controverses au milieu desquelles ils se sont trouvés.

Les grandes victoires de Napoléon
Lodi, Rivoli, Aboukir, Marengo, Austerlitz, Iéna, Wagram, etc., toutes ces batailles remportées par le général Bonaparte, puis par Napoléon devenu empereur, ont été immortalisées par les peintres du 19e siècle. Suivies d'un bref rappel historique, découvrez-les dans la galerie.

Les Compagnons de la Gloire
par Christophe Bourachot
Cet essai bibliographique sur les maréchaux du Premier Empire n'avait jamais été entrepris. Nul doute qu'il donnera satisfaction aux lecteurs et aux chercheurs s'intéressant aux plus glorieux compagnons de l'Empereur.

Le 24 mai dernier, une Messe anniversaire, a été célébrée en sa mémoire, à l'initiative des Amis de Malmaison, en l'église Saint-Pierre - Saint-Paul de Rueil-Malmaison, en présence de S.A.I, la princesse Napoléon.
La mort suspecte de l'Impératrice Joséphine
Officiellement elle est décédée le 29 mai 1814, des suites d'un refroidissement lors d'une promenade en compagnie du Tsar Alexandre 1er. Comment tant d'historiens ont-ils pu jusqu'à ce jour, avaler une couleuvre aussi énorme ? Les éléments que nous avons recueillis attestent que sa mort fut provoquée.

Ouverture du tombeau des Invalides:
Doit-on exhumer Napoléon aux fins d'analyses scientifiques ? Se trouve-t-il bien aux Invalides ? A-t-il été empoisonné ? En pleine vague napoléonienne, ces questions ressurgissent. Et vous qu'en pensez-vous ? Répondez à notre sondage

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