Monday 20 August 2012

HOMMAGE AU PR. ROGER GARAUDY, MICHEL LELONG, ALAIN SORAL, PR. ROBERT FAURISSON.




Partie 1 : Bilan des législatives ; l’erreur de Marine Le Pen ; Commentaire des commentaires ; la pensée de Rousseau ; la pensée de Nietzsche ; le philo-sémitisme de Nietzsche ; L’antisémite du mois.
Partie 2 : Le/la con(ne) du mois ; qui est Thierry Ardisson ? ; les Retournés : les nouveaux kapos ; Yann Moix ; Caroline Fourest en Israël ; manifestations racistes en Israël ; Mélenchon KO à Hénin-Beaumont ; appel aux Soraliens du Front de Gauche.
Partie 3 : Définition du Macho ; nouvelle loi sur le harcèlement sexuel ; meurtre des gendarmettes de Collobrières ; Sur la violence directe et la violence indirecte ; Beigbeder fait tourner Joey Starr ; la vengeance collective du bourgeois sur le prédateur isolé ; manifestations au Québec : un salut à nos camarades résistants.
Partie 4 : Damas : où commencera la troisième mondiale ? ; les islamo-sionistes (conscients ou non) ; Algérie, prochaine cible de l’empire ; Tariq Ramadan ; l’Algérie ; The Dictator ; Sacha Baron Cohen et Dieudonné ; les clichés au cinéma ; le juif négatif ; Hollande et le drapeau hollandais.
Partie 5 : Dieudonné à Strasbourg : 99% contre 1%, agression de Villeurbanne, l’antisémitisme en France, un nouveau procès pour Soral ; Madonna et satanisme ; Michel Onfray défend Jean Soler ; le judaïsme selon Jean Soler ; l’équipe de France n’a pas visité Auschwitz ; conseils si vous êtes coincés dans une chambre à gaz.
Partie 6 : Hommage à Téofilo Stevenson ; Thierry Roland/Roger Garaudy : deux versions de la France ; révisionnisme/négationnisme ; De l’orthodoxie à la nouvelle religion juive ; lettre d’un juif non talmudo-sioniste ; suggestions de lecture.










Transcription de l’entretien

  • Partie 1
  • Partie 2
  • Partie 3
  • Partie 4
  • Partie 5
  • Partie 6
PREMIERE PARTIE
« On est parti là, alors ? Donc, il n’y a pas de gag aujourd’hui. »
Alors, on va parler du bilan des législatives pour ce qui nous intéresse, c’est-à-dire à mon avis, le seul parti d’opposition qui existe, qui est le Front national. Et en fait, malgré une énorme poussée en termes de nombre de votants, le résultat est quand même très, très faiblard, et montre bien comment le système de ce qu’on appelle la démocratie représentative verrouille totalement la démocratie. Puisqu’il y a deux élus.
Et puis surtout là, je vais revenir sur ma divergence, d’une certaine manière, avec Marine Le Pen, c’est qu’en fait, il y a deux élus en régions Sud, sur la ligne qui n’est pas intéressante du Front, qui est la ligne ethnique en gros, qui est le vote petit-bourgeois, le vote retraité anti-immigrés, globalement. Alors que ce qui aurait été intéressant, et je pense que c’était ce qui faisait le plus peur au système, c’est que Marine se fasse élire dans le Nord, sur une ligne sociale, comme candidate, sur le plan de la gauche sociale, à gauche de la gauche. Et là, elle a échoué.
Alors elle a échoué parce que tout le système, effectivement, était contre ça. C’est-à-dire que – je l’ai déjà expliqué la dernière fois et c’était d’ailleurs la mission du maçon Mélenchon, Mélenchon la truelle – c’est qu’en fait, le système bipartite gauche-droite.
Et on verra bien, par l’élimination de Bayrou et par d’ailleurs, l’utilisation de Mélenchon et de son maintien dans la marge d’une espèce d’impuissance, que tout le combat du système aujourd’hui, c’est de maintenir le bipartisme gauche-droite. C’est fondamental. Et dans cette vision là, ils veulent bien qu’il y ait une gauche de la gauche et une droite de la droite qui servent de forces d’appoint et d’auxiliaires. C’est-à-dire l’extrême gauche pour le PS et ce qu’ils appellent l’extrême droite pour l’UMP. Ça, ça leur va. Ce qui veut dire que l’élection à la limite de Collard dont on reparlera – je ne parlerai pas de Marion Maréchal, c’est encore un petit peu différent –, mais enfin l’élection de Collard, ce n’est pas gênant. Parce que c’est un candidat « à droite de la droite » avec des alliances, extrême droite-droite. Ça, ce n’est pas gênant pour le système.
Ce qui était gênant pour le système, c’était le vote Marine Le Pen sur une terre ouvrière qui bat un candidat socialiste en étant plus à gauche que lui sur la question sociale. Ça, c’est ce dont le système ne veut pas, parce que ça met en l’air tout le baratin antifasciste qui avait d’abord été monté par les staliniens pendant la guerre mais qui après a été récupéré par les trotskystes et qui veut que ce qu’il appelle l’« extrême droite », systématiquement, soit la « droite que la droite », c’est-à-dire plus patronale que le patronat, plus libérale que les libéraux. Ce qui était évidemment faux, puisque ce qu’eux-mêmes appellent l’« extrême droite », qui est souvent en fait du nationalisme révolutionnaire, de la troisième voie, sont systématiquement des mouvements sociaux qui, quelque part, ont continué l’analyse de Marx sur comment être le plus à gauche possible sur le plan social en fonction du processus mondialiste financier, etc.
Donc effectivement, pour que l’antifascisme reste une arme de destruction massive du système, comme l’antiracisme, il ne faut absolument pas qu’un candidat du Front national soit élu en terre ouvrière en étant élu par les ouvriers parce que candidat plus à gauche, sur le plan social, que le candidat de gauche officiel. Ça c’était ce dont le système ne voulait pas.
Et il a gagné, en faisant l’union sacrée contre Marine Le Pen avec le rôle qu’a servi Mélenchon la truelle – on peut y aller. Et c’est assez triste parce que, moi, j’aurais préféré évidemment un seul élu au Parlement mais dans le Nord social et qui aurait été Marine Le Pen, que deux élus dans le Sud ethnique. Donc, de ce point de vue-là, c’est un échec.
Et là où je vais lui faire une petite critique, c’est qu’elle a été battue pour 112 voix ou 117 voix. Ce qui est très, très peu. Or je sais, par mes informations, qu’elle a été battue parce que comme on le dit « les Arabes sont allés voter » au deuxième tour, contre elle, alors que normalement, ils restaient chez eux, notamment les vieux, etc. Ce qui veut dire que là, elle a payé, ce qui est à la fois triste mais moral, elle a payé pour sa ligne, totalement grossière, sur l’islam.
C’est-à-dire que son positionnement antimondialiste est totalement cohérent et subtil. Mais sa position anti-islam est une position finalement « droitarde » qui fait de l’amalgame. Notamment sur l’affaire Merah, elle a très mal réagi. Et je pense qu’elle a inutilement et bêtement humilié des gens qui font partie de ce que j’appelle la « droite des valeurs » qui sont les musulmans patriotes, les musulmans du quotidien, et que quelque part, elle vient d’être sanctionnée, parce que ces 112 voix qui lui ont manqué, ces 112 voix qui ont été contre elle, c’est-à-dire qui ont été du côté du candidat socialiste, c’est les voix des musulmans qui se sont déplacés spécialement pour voter contre elle. C’est tragique parce que si elle avait eu un positionnement sur l’islam comme le mien, qui est un positionnement sans concession et sans démagogie, de tendre la main aux musulmans du quotidien, au nom de la droite des valeurs, sur les valeurs du Front national : respect de la famille, du patriarcat, de la hiérarchie, de la transcendance, opposition au monde mammonique, etc., etc., elle aurait été élue. Là, elle a été battue, alors qu’elle pouvait surmonter le Merluchon la truelle, elle pouvait surmonter l’« union sacrée » contre elle. Et ce qui l’a fait chuter, en dernière instance, pour 112 ou 117 voix, c’est le vote musulman. Elle a bêtement insulté les musulmans en manquant de finesse dans son positionnement. Il n’est pas question d’être baboucholâtre, mais simplement d’être honnête et moral.
Elle a très mal joué sur l’affaire Merah. L’affaire Merah ne montre pas du doigt le problème musulman en France. Il montre en France le problème de la délinquance et de la complaisance envers la délinquance qui vient d’un vison américano-trotskyste des choses. Et elle vient surtout de la manipulation des services, au service du sionisme, car l’affaire Merah est une « opération », quoi qu’on en dise, est un montage, est une manipulation, quel que soit le rôle qu’il ait joué.
Marine Le Pen a très mal réagi sur cette question. Elle a eu une position qui n’est pas digne d’un chef d’État sur l’islam et les musulmans en leur déclarant la guerre assez globalement, même si certains prétendent le contraire, le message n’est jamais bien passé. Et ça lui a couté le fait de ne pas rentrer à la Chambre et de ne pas être élue justement en terre ouvrière sur sa ligne sociale. Ce qui est assez dramatique.
Et surtout, ce qui est très triste, c’est que, finalement, elle a fait le sale boulot, elle a fait le gros boulot – car elle a fait un énorme travail – pour faire entrer à la Chambre des députés un avocat mondain franc-maçon lifté, sur une ligne finalement petite bourgeoise, rentière, retraitée, plus ou moins anti-maghrébine, c’est-à-dire Front du Sud, qui est finalement – Le Pen père l’a bien remarqué d’ailleurs – assez catastrophique, parce que Collard n’a même pas sa carte du Front national.
Donc, Marine, finalement, a été punie par là où elle a péché, et c’est le seul endroit où elle avait péché – c’est son manque de précision sur son opposition à un certain islamisme et à certains musulmans qui sont, je le dis moi, des mauvais musulmans, et qu’elle a amalgamé. Et finalement, le système l’a baisée, parce que le système est très fort, puisque finalement, tout son travail a constitué à faire élire un franc-maçon droitard, avocat mondain assez louche, qui a un parcours assez louche, et qui ne pose aucun problème au système, en réalité, on va s’en rendre compte très, très vite.
Donc finalement, peut-être la seule satisfaction de ces législatives, c’est l’élection de Marion Maréchal-Le Pen dont je dirai simplement, pour en dire du bien, qu’elle relaie, elle, sur son blog, tous les mois, ma vidéo du moi. C’est un petit signe. Ce qui veut dire que mes vidéos du mois sont maintenant relayées par un élu de la nation, ce qui est quand même un bon signe. Et je l’en remercie.
Commentaire sur les commentaires du Commentaire des commentaires
Alain Soral – Oui, alors, je lis un peu les commentaires, bon en général, très sympathiques. Et puis il y a toujours des trucs qui reviennent, des trucs qui ne passent pas.
Alors je crois que les deux sujets, c’était sur Rousseau, quand j’avais bien expliqué la dernière fois qu’il n’y a pas de « bon sauvage » chez Rousseau. Dans la pensée de Rousseau, ça n’a pas de sens, l’idée du bon sauvage. Enfin, c’est une mauvaise interprétation. Il y a peut-être une phrase de Rousseau qui prête un peu le flanc. Donc je vais repréciser cette question, notamment pour des amis royalistes parce que c’est toujours embêtant de voir que Rousseau est très brutalement attaqué comme un penseur des Lumières, ce qui veut dire penseur libéral, puisque « les Lumières », c’est le libéralisme à la française. C’est la transposition française du mouvement libéral anglais, d’une certaine manière. Et on se rend bien compte grâce d’ailleurs au travail de Marion Sigaut, notre camarade [Turgot ou l’avènement du libéralisme : la fin de l’Ancien-Régime, egaliteetreconciliation.fr], qu’en fait, les Lumières ont amené en France le libéralisme, et que c’est ce qui a détruit la monarchie.
Ce n’est pas l’absolutisme royal qui a été mis à bas parce qu’il était justement absolutiste, puisque ça n’existait pas. C’est qu’en fait, à travers les Lumières et les Encyclopédistes, ça a été finalement le triomphe de la pensée libérale, et surtout du libéralisme social. On le voit avec la Loi Le Chapelier, etc. Et c’est ça qui est systématiquement occulté.
Et Rousseau n’est pas dans ce complot, je dirais. Il est très au-dessus de ça. Il est comme je l’ai dit, comme Nietzsche. C’est un penseur complexe, ambivalent, qui excède toujours les catégories gauche-droite, progressiste-réactionnaire, etc. Donc je vais revenir là-dessus, premier sujet.
Et le deuxième sujet, c’était sur le philosémitisme. Alors chaque fois que je dis qu’il n’y a pas de philosémites avant 1945, on me sort toujours. Alors la dernière fois sur Tolstoï, on a encore insisté. Alors je vais repréciser encore. Et là on m’a dit sur Nietzsche : Nietzsche philosémite ! Alors je vais bien creuser le sujet parce que c’est assez amusant. C’est un truc à double détente, le philosémitisme de Nietzsche.
« Rousseau était avant tout un penseur des Lumières. »
Un royaliste acharné

Donc, « Le bon sauvage de Rousseau » (suite et fin) :
« Il n’y a pas de bon sauvage chez Rousseau. Ça ne veut pas dire que l’homme est naturellement bon. Simplement que le mal qui est une valeur morale n’existe pas à l’état de nature. Le lion ne fait pas de mal à la gazelle, il la mange. La question du bien et du mal naît donc avec l’homme civilisé, c’est-à-dire quand celui-ci s’élève par l’histoire au dessus des instincts pour devenir un être collectif soumis à la question morale. Là, seulement, naît la question du bien et du mal, à la sortir de l’innocence. Avant, à l’état de nature, cette question n’a pas de sens. Ce qui veut dire que la question du bien comme du mal sont à chercher, non dans la nature de l’homme ni bon ni mauvais, ou potentiellement les deux, mais dans la société qui oriente ces potentialités par ses valeurs. Et que c’est là qu’il faut mener le combat. »
Bref, c’est une question philosophique sérieuse. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en fait, Rousseau a inauguré ce qu’on appelle la pensée de l’histoire. Avant, il y a la pensée religieuse, c’est-à-dire l’idée du péché originel, par exemple. L’homme est marqué par le péché originel. C’est la croyance des catholiques. Et de l’autre côté, il y a la pensée qui est celle de Voltaire, la pensée antireligieuse qui dit : il y a une nature humaine, donc l’homme est un animal ; alors c’est de savoir, après, s’il est bon ou mauvais, etc.
Et Rousseau introduit une troisième façon de penser qui est la façon de penser moderne révolutionnaire et qui n’est ni la pensée Dieu ni la pensée Nature, mais qui est la pensée Histoire comme processus où c’est l’homme, quelque part, qui se fait lui-même, comme être collectif, être moral, être social. Et cette explication, je l’ai donnée la dernière fois en lisant De l’état civil. C’est pour ça que Rousseau est le très grand penseur de la modernité, puisqu’il introduit la pensée historique, c’est-à-dire ni pensée religieuse ni pensée naturelle. Et tous les penseurs lui doivent quelque chose, ceux qui sont passés derrière lui : Kant, Marx, mais même le Nietzsche de la Généalogie de la morale et évidemment, La Raison dans l’Histoire, Hegel. C’est-à-dire que toutes les pensées après Rousseau sont historicistes. Et c’est lui qui a inventé ça dans ce génial bouquin dont j’oublie à chaque fois le titre qui est :
ERTV – Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Alain Soral – Voilà, le Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. La pensée comme processus historique et l’homme comme processus historique en cours, toujours en cours.
Donc de dire l’homme est-il bon ou mauvais ? C’est dans sa nature. On peut tout faire dire à la nature. Et l’homme est celui justement qui est un animal social et culturel. Et ce qui veut dire que le combat du bien et du mal est à mener dans la société. C’est le combat des valeurs. Et l’excuse de la nature ou même l’excuse de la religion, péché originel ou animalité de l’homme, est une approche très, très médiocre et très, très faiblarde pour aborder la question du bien et du mal.
Donc, je vais finir là-dessus. Ce qui veut dire que la philosophie est une question très sérieuse et que Rousseau est un très grand philosophe, qui inaugure l’ère moderne de la philosophie, et qui amène à tous les grands penseurs d’après lui. Et qui fait que Voltaire est un petit penseur libéral.
Et sinon, il y a la religion. Mais on n’est pas dans le concept. C’est-à-dire le péché originel et l’homme à l’image de Dieu, etc., etc. C’est autre chose. Et Rousseau, donc, n’est ni un penseur religieux ni un penseur de la Nature. C’est un penseur de l’historicité totale. C’est pour ça qu’il est prékantien, prémarxiste, préhégélien, prénietzschéen. Et que c’est le maître de tous les penseurs. Et il n’est pas réductible, surtout pas, à un penseur libéral, à un penseur des Lumières, à un Encyclopédiste. Les Encyclopédistes le détestaient, faut pas oublier.

« Nietzsche aussi était philosémite ! »
Je cherche les philosémites d’avant 1945
Nietzsche est un penseur subtil. Il s’oppose beaucoup à la brutalité de la pensée prussienne émergente et effectivement à l’antisémitisme prussien. Nietzsche est un penseur – exactement d’ailleurs comme Rousseau – est un penseur ambivalent. Ce n’est pas un penseur à système. C’est un penseur qui voit et qui anticipe la contradiction des systèmes dominants à venir et des systèmes des autres. Mais lui-même ne produit pas de système. Ce qui veut dire qu’il y a un Nietzsche de gauche et un Nietzsche de droite. Il n’est pas lui-même cohérent. Il est cohérent dans les critiques qu’il fait des incohérences des autres. Mais lui-même ne produit pas de système. Il y a le Nietzsche de gauche de Michel Onfray, et il y a le Nietzsche de droite des nazis. Tous les deux existent. Il y a aucun problème. Il y a un Nietzsche racialiste, et puis il y a un Nietzsche de gauche qui est plus… Je vais laisser ça à Onfray, c’est plus son truc.

Mais le Nietzsche de gauche existe. Le Nietzsche de droite existe. Et à chaque fois dire : Nietzsche n’est pas de droite parce qu’il y a un Nietzsche de gauche, ou : Nietzsche n’est pas de gauche parce qu’il y a un Nietzsche de droite. Il y a les deux. Nietzsche est un penseur critique. Ce n’est pas un penseur à système. C’est un penseur d’intuitions, ce n’est pas un penseur vraiment de concepts. C’est un penseur d’aphorismes. C’est un atypique. Et surtout avec un style très impressionnant, avec un pied presque dans la poésie. Il est dans la tradition presque des philosophes artistes. Mais ce n’est pas un penseur à système. C’est pour ça d’ailleurs que les penseurs qui aiment les philosophes à système parfois le méprisent. Ceux qui aiment Marx et Hegel ne savent pas trop où mettre Nietzsche. Mais bon, je veux clore là-dessus.

Maintenant, sur le philosémitisme de Nietzsche. Donc Nietzsche était antiprussien, profrançais, ce qui veut bien dire quelque chose. Et même à la fin de sa vie, par fâcherie envers Wagner dont il était un grand admirateur, Wagner qui est un antisémite carabiné. On verra, puisque maintenant on va faire « les antisémites du mois », c’est un génie de la musique, effectivement de l’art total – c’est lui qui a inventé l’art total et l’œuvre la plus longue de l’histoire de la création artistique, il faut le savoir [cf. La Tétralogie] – et un antisémite carabiné.

C’est-à-dire : antisémitisme égale abruti, imbécile, crétin, etc. Très difficile à vendre quand on a une vraie culture. Ça j’y reviendrai régulièrement.

Et donc à un moment donné, Nietzsche qui était l’ami de Wagner, se fâchant avec lui, prend partie, à la fin de sa vie, avant de devenir fou, pour Bizet et la légèreté française, c’est-à-dire pour Carmen contre le Parsifal de Wagner. Donc, il y a aussi une dimension humaine de colère, etc.
Maintenant je vais revenir à. Effectivement Nietzsche est un grand admirateur des juifs. Il l’a écrit plusieurs fois. Mais pourquoi les admire-t-il ?

Pour leurs capacités de haine et leur constance dans leur volonté de domination. Première chose. Deuxièmement, pour le fait qu’ils ont vaincu en tant que peuples de prêtres le Romains, c’est-à-dire des guerriers, par la manipulation sémantique et l’apologie du faible, et qu’ils ont été des corrupteurs. Il admire leurs capacités à avoir fait triompher ce qu’il appelle le « mal », par rapport à sa pensée du surhomme. C’est-à-dire les êtres faibles qui arrivent, par la dialectique, à imposer les valeurs qui détruisent le monde du bien de la virilité et de la force.

Virilité : très important, on y reviendra tout à l’heure.

Donc il aime, il est « philosémite » que pour des mauvaises raisons par rapport aux valeurs obligatoires universelles de 1945. Le mot qui revient systématiquement chez Nietzsche quand il parle des juifs, c’est leur « inextinguible capacité de haine ». Il les identifie bien comme le peuple de la haine.

Et pour ceux qui ne me croient pas, il suffit d’aller dans cet excellent bouquin de Blanrue qu’on va rééditer, Le monde contre soi. Anthologie des propos contre les juifs, le judaïsme et le sionisme. Et vous avez, sur Nietzsche, vous avez trois pages de citations qui montrent effectivement qu’il admire les juifs pour leur « inextinguible capacité de haine ». Il parle même de :
« C’est grâce à la faculté qu’ils ont de mépriser l’homme. C’est Rome contre le Judée, la Judée contre Rome. Il n’y eut point jusqu’à ce jour d’événements plus considérables que cette lutte, cette mise en question, ce conflit mortel. Rome sentait dans le juif quelque chose comme le contre-nature par excellence, un monstre placé à son propre antipode. À Rome, on considérait le juif comme un être convaincu de haine contre le genre humain ».
Vous voyez ! Donc pour les crétins – parce que c’est les commentaires des commentaires – qui continuent à me dire : « Vous vous trompez, Nietzsche était philosémite comme Tolstoï était philosémite. »

Évidemment, ce ne sont pas des antisémites carabinés. Les antisémites carabinés sont rarissimes en réalité. Même Adolf Hitler est très subtil dans ses propos sur les juifs, quand on veut bien le lire.
Mais Nietzsche aimait et respectait les juifs pour des raisons aujourd’hui totalement antisémites, comme peuple à la haine inextinguible et dont la force a été la destruction du monde du bien, qui est le monde de Rome, et dont la capacité inouïe et remarquable est sa capacité à mépriser l’homme. Donc pour ceux qui veulent continuer à m’emmerder sur les philosémites d’avant-guerre, je vais continuer à les remettre à leur place, systématiquement. Je pense qu’on peut d’ailleurs enchaîner, je crois, sur [l’antisémite du mois].

L’antisémite du mois (retrouvez-les tous !)
Alain Soral – Oui, alors l’antisémite du mois. D’ailleurs, il y en a tellement, que comme je ne suis pas sûr de vivre encore très longtemps, je ne tiendrai pas. Donc je vais en faire plusieurs par moi. Donc là, j’ai fait Nietzsche, le « philosémite antisémite ». Qu’est-ce qu’on avait d’autre ?
ERTV – Dostoïevski.
Alain Soral – Alors là, oui, je vais aborder Dostoïevski, génie de la littérature, Russe ; on ne peut pas dire que ce soit un abruti et un crétin. Alors je vais vous lire une phrase de Dostoïevski que j’ai prise dans cet excellent bouquin de notre ami Félix Niesche qui s’appelle Ex-France que nous éditons et qui parle de tas de choses. Ce sont des petits textes, des texticules. Mais c’est excellent. Et là, j’y ai trouvé justement une citation de Dostoïevski :
« Il me vient parfois en tête une fantaisie. Que se passerait-il en Russie, si au lieu de trois millions de Juifs qui s’y trouvent, il y avait trois millions de Russes et quatre-vingts millions de Juifs ? Que seraient-ils devenus chez eux, ces Russes, et comment auraient-ils été traités ? Les auraient-ils mis sur le même pied qu’eux-mêmes ? Leur auraient-ils permis de prier librement ? N’en auraient-ils pas fait tout simplement des esclaves ? Ou bien pire encore, ne leur auraient-ils pas tout simplement arraché la peau ? Ne les auraient-ils pas massacrés jusqu’à la destruction complète comme ils l’ont fait avec les autres peuples de l’Antiquité aux temps de leur histoire ancienne ? Le youpin, sa banque, dirige maintenant tout : l’Europe, l’instruction, la civilisation et le socialisme. Quand toute la richesse de l’Europe disparaîtra, restera la banque du juif et sur l’anarchie s’élèvera l’Antéchrist. »
Alors maintenant on peut me dire : bon ben, Dostoïevski, c’est un Russe, c’est un allumé !
Alors là, je vais enfoncer encore le clou. Parce que, comme ça, je pense que les commentaires après vont se clamer, commentaires intelligents. Je vais vous prendre un français inattaquable, socialiste, et socialiste du socialisme représentatif à la française, même pas un socialiste révolutionnaire, un Proudhon, etc. : Jean Jaurès. Jean Jaurès, hein ! Alors, je vais vous lire un extrait d’un discours de Jean Jaurès dans un meeting socialiste de juin 1898, tout ça est tracé, au Tivoli-Vaux Hall, consacré au Congrès de Stuttgart. Jean Jaurès :
« Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la fièvre du prophétisme, nous savons bien qu’elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion. »
Citation de Jean Jaurès. Donc là, je pense que Monsieur Prasquier devrait demander qu’on enlève Jean Jaurès, qu’on le raye de la carte, c’est-à-dire qu’on supprime toutes les rues Jaurès de France, tous les lycées, etc., etc. C’est du lourd. Alors maintenant, deuxième citation de Jaurès, au cas où vous penseriez que ça serait dans un moment de folie. C’est sur la question juive en Algérie. Donc là on est le 1er mai 1895. Donc, c’est 25 ans après le décret Crémieux. Pour ceux qui veulent s’instruire, qu’ils cherchent ce qu’est le décret Crémieux et le rôle que ça a joué en Algérie, notamment, dans la relation des colons Français chrétiens avec les indigènes musulmans, etc. Donc deuxième citation de Jean Jaurès :
« Dans les villes, ce qui exaspère le gros de la population française contre les Juifs, c’est que, par l’usure, par l’infatigable activité commerciale, et par l’abus des influences politiques, ils accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les emplois lucratifs, les fonctions administratives, la puissance publique. »
Jean Jaurès, éditorial politique de La Dépêche, Journal de la Démocratie, mercredi 1er mai 1895, numéro 9751, intitulé « La question juive en Algérie ».
Donc maintenant si quelqu’un veut encore me défier sur les philosémites d’avant-guerre, j’en ai comme ça jusqu’à la fin des temps, des citations. Maintenant, je pense qu’on peut changer de sujet.

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L’entretien mensuel d’Alain Soral (Février/Mars)
Spécial élections régionales

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Janvier 2010
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 WESTERN TERRORISM

Roger Garaudy et le terrorisme occidental

  6 septembre 2010
 
M. P. Depuis la parution de votre ouvrage Les Mythes fondateurs de la politique israélienne , votre popularité, Roger Garaudy, ne s'est pas démentie. L'un de vos principaux défenseurs était l'abbé Pierre, et le livre a eu une énorme diffusion, tant en France qu'à l'étranger, particulièrement dans le monde musulman. Le procès qui vous a été intenté a certes effrayé les libraires en France, et les journalistes salariés, mais a auréolé de mystère et d'héroïsme l'écrivain qui a donné lieu à l'acharnement sioniste. Dix ans se sont écoulés, maintenant, depuis le scandale international causé par Les Mythes fondateurs de la politique israélienne . Apporteriez-vous aujourd'hui des modifications à vous analyses de 1995 ?
R. G. Pas du tout, je n'ai jamais séparé le domaine de la religion et celui de la politique, et c'est l'articulation pervertie de ces dimensions que je développais dans ce livre. Mon livre sur l'Etat d'Israël faisait partie d'une trilogie de critique de la distorsion pratiquée par les institutions des trois grandes religions monothéistes : catholique, islamique et juive. Les deux premiers volumes ont été bien acceptés et discutés dans un cadre de respect réciproque, tandis que le troisième a irrité le lobby sioniste, mais a été soutenu par des membres éminents des trois religions. Malheureusement, la guerre d'extermination que subissent actuellement encore les Palestiniens a confirmé la validité de mes analyses. D'autre part, les campagnes de désinformation, à l'échelle mondiale, font partie de l'arsenal américano-israélien. Heureusement il y a des gens comme Norman Finkelstein ou Israel Shamir qui ont repris le flambeau de la dénonciation des bases inadmissibles de l'Etat israélien.
Lors de la conférence de Téhéran pour envisager un examen critique de l'histoire officielle de la Deuxième Guerre mondiale, il a beaucoup été fait allusion au travail pionnier que vous avez réalisé dans votre ouvrage de déconstruction de la propagande israélienne. Quel est votre bilan sur cette conférence ?
J'attends toujours des comptes rendus sur les communications présentées à la conférence, la presse n'en a pas donné, à ma connaissance. Je partage bien entendu l'opinion du président Ahmadinejad ; puisque les Alliés ont conclu qu'Hitler avait exterminé et génocidé six millions de juifs, ils auraient dû offrir un refuge aux survivants rescapés quelque part en Europe ou aux Etats-Unis, en aucun cas créer une tumeur coloniale au Proche Orient, en prenant pour prétexte la bien réelle souffrance des juifs européens. Il faut continuer à miner l'empire du mensonge. J'ai d'ailleurs publié un autre livre centré sur les mythes fondateurs, ceux des Etats-Unis, « avant-garde de la décadence » (éditions Vent du large, 1997); dans celui-ci aussi, je montre comment une doctrine politique funeste, celle de l'impérialisme US, prétend se justifier avec des arguments censément religieux, c'est-à-dire en fait rattachés à des dogmes qui naissent de la lecture littérale de la Bible. Dans mon livre Le Terrorisme Occidental , qui est mon testament spirituel, mon objectif reste le même : montrer l'imbrication entre le religieux et le politique, lutter contre l'hégémonie basée sur l'usurpation et la falsification.
Les tentatives pour étouffer vos idées en France, ce pays qui était jadis envié dans le monde entier pour sa tolérance et son audace en matière de liberté de pensée, augmentent en fait la curiosité pour vos raisonnements. Quel serait l'apport spécifique de ce volume, Le Terrorisme occidental , auquel vous avez mis le point final juste après le 11 septembre 2001 (livre paru aux éditions al Qalam, 220 rue Saint-Jacques, 75005) ?
Je crois que mon horizon a continué à s'élargir. En 1979 j'avais publié Appel aux Vivants , et Avons-nous besoin de Dieu ; cela tenait d'une tentative de conversion des lecteurs de culture chrétienne à une foi véritablement active et agissante dans les problèmes contemporains. J'ai en outre publié plusieurs volumes sur l'islam, rappelant son histoire et ses valeurs. Dans ce nouveau livre, j'approfondis la question des religions non monothéistes, avec leurs richesses propres, et je montre qu'elles apportent des dimensions qui manquent dans nos trois grands monothéismes.
Quel rapport avec le terrorisme occidental ?
Je dis que l'Occident est un accident, dans l'histoire spirituelle du monde, et ses bases théologiques viciées produisent des dégâts immenses. Les Etats-Unis et Israël ont multiplié les opérations ponctuelles de terrorisme d'Etat ; au-delà des objectifs visés spécifiquement, comme le 11 septembre pour faire passer dans l'opinion les guerres contre l'Afghanistan et l'Irak, il s'agit de terroriser le monde entier, de tétaniser la réflexion. Ainsi apparaît le sens du 11 septembre : ce n'est pas l'expression d'un affrontement entre l'islam et le christianisme, ni entre l'Orient et l'Occident. C'est pourtant à cela, selon le scénario d'Huntington, que les conspirateurs prétendaient réduire le XXI e siècle. C'est dans l'éclatement des contradictions internes de l'occident capitaliste et colonisateur, en quête de méthodes capables d'assurer sa survie, qu'il faut chercher le sens profond du 11 septembre 2001.
Vous aviez publié vos mémoires en 1989, sous le titre Mon Tour du siècle en solitaire , qui expliquaient les expériences personnelles vous ayant amené à la découverte du devoir de rattacher vos combats inspirés par le marxisme avec une spiritualité enracinée dans les traditions de chaque peuple. Est-ce que ce livre est aussi basé sur des expériences personnelles ?
Ici je pars de mon expérience personnelle, mais je fais le parcours à l'envers, si je puis dire, à partir de ma situation actuelle, caractérisée par un degré d'incompréhension provisoire dans mon propre pays. Voici comment je résume mes découvertes décisives : « ma situation me donne le vertige : n'est-ce pas folie que de prétendre avoir raison contre tout le monde ? Dans cette froideur mortelle du vide et de la solitude [dans le contexte français, à partir de mon exclusion du parti Communiste français en 1973], j'ai enfin rencontré le monde réel, c'est-à-dire universel, alors que j'avais été confiné jusque-là dans une culture exclusivement occidentale. Ce colonialisme culturel dont j'étais, depuis l'école, pénétré, m'inspira une colère qui ne m'a plus quitté ».
Vous dites que vous restez à la fois chrétien et marxiste; parmi les philosophes européens du XXème siècle, y a-t-il d'autres personnalités dont vous vous sentiez proche? Quels seraient, dans le passé, dans la philosophie classique allemande, les philosophes avec lesquels vous fraternisez ?
Mon maître Gaston Bachelard était au-dessus de tous les autres. Dans ses méditations parallèles sur la théorie de la connaissance et sur la création poétique il a contribué de façon décisive à la philosophie de l'acte contre les philosophies de l'être. Déjà Emmanuel Kant combattait les philosophies de l'être, qui, malheureusement, malgré sa critique radicale, sont devenues des cauchemars dans le vide pour Sartre et Heidegger. Mais Bachelard a en outre ébauché une philosophie non cartésienne à partir de l'étude l'histoire des sciences, dont il fait un vaste poème de la création continue ; il appréhende cette vérité également à travers les arts, le rêve éveillé, la création poétique.
Votre livre porte donc sur l'esthétique, ce rameau d'or de la philosophie, ce domaine merveilleux où vous aviez tellement fait, dans les années 1970, pour empêcher les communistes de sombrer dans l'académisme policier ? Votre plaidoyer  Pour un Réalisme sans rivages   de 1964 avait libéré la réflexion de tous les révolutionnaires avides de création, mais soupçonnés par les commissaires politiques de la mesquinerie politicarde de gauche de faire le jeu de l'ennemi de classe, à l'époque ! Diriez-vous maintenant, avec d'autres, que la libre création artistique est devenue le lieu de la religiosité moderne authentique ?
Pas exactement, et certainement pas pour ce que propose le marché de l'art contemporain, totalement perverti. L'art a toujours été le chemin le plus court pour rapprocher les hommes, mais il ne doit pas donner lieu à une idolâtrie, se substituer à l'exigence de création sur tous les plans, qui va bien au-delà de telle ou telle réalisation classée comme artistique. Dans mon cas, la réflexion sur les arts non-occidentaux, qui ne prétendent jamais refléter ou commenter le monde, mais se projeter comme captation d'énergie et invention mythologique, a toujours été rattachée à la réflexion sur la pensée scientifique, depuis le début du XXème siècle, depuis la relativité et les quanta jusqu'à la biologie génétique ou l'astrophysique ; j'ai toujours rêvé de prolonger le parcours de Bachelard jusqu'au point où les deux types d'aventure spirituelle se rejoignent, pour voir dans l'invention scientifique un cas particulier de la création poétique, celui qui peut être soumis à la vérification expérimentale.
L'un des moments de votre biographie qui a le plus irrité vos confrères, si je puis dire, a été votre conversion à l'islam, après votre expulsion des rangs du Parti communiste français en 1973. En Occident on ne comprend pas, par exemple, pourquoi l'islam traditionnel a refusé la représentation dans les arts plastiques ; et cet ascétisme visuel musulman semble tellement contradictoire avec votre appétit de représentation, ce que vous appelez le réalisme.
Le puritanisme n'est pas une dimension décisive de l'islam, c'est une de ses tendances locales à certaines époques, et en matière artistique, le monde musulman déborde d'imagination pour faire comprendre les structures dynamiques de l'univers, ce qui est éblouissant dans l'architecture inspirée par l'islam. Il faut encore combattre la vision biaisée de la spiritualité musulmane, parfois relayée en Occident par les musulmans eux-mêmes. L'islam ne prétend pas être une religion nouvelle, il n'est pas né avec la prédication du Prophète. Allah n'est pas un dieu régional, qui appartiendrait aux Arabes. Allah veut dire « le dieu », et les chrétiens de langue arabe invoquent Allah. « Islam » implique que l'on s'abandonne volontairement et librement à Dieu seul ; cette attitude est le dénominateur commun de toutes les religions, depuis le premier homme auquel «Dieu a insufflé son esprit » (Coran XV, 29). Le Coran dit ceci : « Mohammed n'est qu'un prophète : d'autres prophètes ont vécu avant lui » (III, 114) ; et Mohammed lui-même ajoutait : « Je ne suis pas un innovateur parmi les prophètes » (XLVI, 9).
Vous expliquiez dans votre Tour du siècle en solitaire , que vous vous êtes affilié à l'islam parce que c'est « la religion dominante parmi les dominés », et parce que, en tant que communiste qui aviez été déporté au Sahara algérien, en 1941, vous aviez eu l'occasion de ressentir dans votre chair la grandeur de la civilisation arabe. Considérez-vous que l'islam est une religion qui a moins vieilli et qui est moins pervertie que d'autres ?
L'islam souffre de phénomènes de décadence comme toutes les religions qui ont atteint le stade de l'institutionnalisation dans un contexte qui n'existe plus. Le propre de l'islam, c'est une dimension philosophique qui est moins perceptible dans d'autres religions, c'est une vision dynamique du monde. Dans le Coran, ce dynamisme découle de l'incessante action créatrice de Dieu. Il est appelé « créateur par excellence », « celui qui ne cesse de créer » (XXXV, 81), « celui qui est présent dans toute chose nouvelle » (LV , 29). Cette création continue maintient l'existence de toutes les choses (II, 255). A la différence de ce qui est dit dans la Genèse , Il ne se repose jamais, « Il commence la création et la recommence » (X, 4). C'est pourquoi l'islam a un potentiel extraordinaire pour comprendre et guider le monde moderne ; la sharia coranique nous donne les principes directeurs pour la recherche des moyens d'une modernité différente de la modernité à l'occidentale. Les juristes du passé ont donné l'exemple de cette recherche, en faisant l'effort nécessaire ( itjihad ) pour résoudre les problèmes de leur temps ; chacun de nous est personnellement responsable de l'observation de cet esprit. Il faut tout d'abord passer d'une société fondée sur le profit, le monothéisme du marché, à une société fondée sur de véritables valeurs.
Mais la sharia n'est-elle pas justement le cadre pétrifié du légalisme maniaque qui caractérise les sociétés musulmanes les plus enkystées ?
Le terme sharia n'apparaît qu'une fois dans le Coran (45, 18) et il y a trois autres versets où figurent des termes de même racine ; le verbe shara'a (42, 13) et le substantif shir'a (5, 48). Ceci permet une définition précise : il s'agit d'une voie, et on nous précise que « en matière de religion Mohammed vous a ouvert une voie (le verbe shara'a est utilisé) qui avait été recommandée à Noé, la voie même que nous avions révélée, que nous avons recommandée à Abraham, à Moïse, à Jésus : suivez-la et ne faites pas de celle-ci un objet de division ». Il est donc évident que cette voie est commune à tous les peuples, auxquels Dieu a envoyé ses prophètes (à Tous les peuples, et dans la langue propre à CHACUN d'eux). Mais il se trouve que les codes juridiques concernant le vol et le châtiment approprié, le statut de la femme, le mariage ou l'héritage sont différents, selon la Torah juive, les Evangiles chrétiens ou le Coran. La sharia, loi divine pour aller vers Dieu, ne saurait donc inclure ces législations ( fiqh ), qui diffèrent selon l'époque et la société dans lesquelles un prophète a été envoyé par Dieu. Dieu dit dans le Coran (13, 38) : « à chaque époque correspond un livre », et aussi : « il n'y a pas une communauté dans laquelle ne soit pas apparu un prophète pour la mettre en garde et la guider » (35, 24 et 16, 36).
D'ailleurs, vous avez créé une fondation « Pour le dialogue des cultures » à Cordoue, en Espagne, et vous y avez inauguré une bibliothèque qui offre les trésors du soufisme, en version papier et en version numérique, où s'est tenu un colloque international sur Ibn Arabi, et où se multiplient conférences et expositions. Vous êtes en fait un continuateur de la tradition mystique de Al Andalus, cet âge d'or où l'Andalousie et le Maghreb étaient les facettes complémentaires d'une même civilisation des deux côtés de la Méditerranée. Cette tradition mystique s'est perpétuée dans les lettres espagnoles, de saint Jean de la Croix , jusqu'à Maria Zambrano, Juan Goytisolo, Antonio Gala… Mais vous luttez aussi contre l'intégrisme musulman ?
Bien sûr ; il faut encore et toujours combattre la prétention d'« appliquer la sharia divine » telle que définie dans le Coran, en la confondant avec le   fiqh , ses applications humaines et variables selon les contextes ; certains juristes ont fait des interprétations des commandements qui ont été biaisées par les injonctions du pouvoir, c'est là la maladie principale de l'islam. L'islam a tout à fait raison de rejeter la décadence de l'occident et l'hypocrisie sous-jacente à l'idolâtrie des « droits » ; il faut rejeter le néocolonialisme et la collaboration avec le monothéisme du marché que prétendent imposer les Etats-Unis et ses vassaux occidentaux à travers les diktats du FMI. La loi divine, la sharia , est ce qui unit entre eux les hommes de foi ; or prétendre imposer aux hommes du XXI e siècle une législation du VII e siècle et qui valait pour l'Arabie, est une œuvre de division qui donne une image fausse et repoussante du Coran, c'est un crime comme l'islam. Le littéralisme est un symptôme de paresse intellectuelle.
La France vient de se passionner pour des affaires concernant la liberté d'expression. Le procès de Charlie Hebdo a été l'occasion pour la classe politique de réaffirmer qu'on a le droit de donner une vision caricaturale de l'islam, sans être accusé d'encourager l'islamophobie ; au même moment, toute critique de l'Etat d'Israël, ou la moindre charge humoristique sur des gens qui se réclament du judaïsme, vous vaut en France, et ceci plus que dans n'importe quel autre pays au monde, un procès pour incitation à la haine. Qu'en pensez-vous ?
La diabolisation de l'islam est une catastrophe, mais j'ai une grande confiance dans la sagesse des musulmans. Je continue à distinguer la religion juive – qui comporte des éléments respectables, et qui a donné leurs valeurs universelles à de hautes personnalités dont certaines ont été mes amis, comme Bernard Lecache, fondateur de la LICRA – , de la critique de la politique israélienne : c'est cette politique et les déclarations délirantes de ceux qui la soutiennent, qui fabriquent l'antisémitisme, incontestablement. Et j'ai d'ailleurs gagné un procès contre la LICRA en 1982 !
Dans quel pays voyez-vous des signes solides de résistance à la globalisation USienne ?
La Russie et le monde musulman sont « condamnés à être des alliés stratégiques », comme l'a dit le président de la Douma et secrétaire du parti communiste russe, «  à partir du moment où ils ont également intérêt à éviter l'hégémonie états-unienne. Ce rapprochement concerne aussi la Chine , pour les mêmes raisons. Le problème aujourd'hui est de savoir si la Russie parviendra, au plan intérieur à se débarrasser de la maffia américano-sioniste qui en faisant main basse sur son économie au profit des spéculateurs, veut l'intégrer dans l'américanisation générale du monde. Il faut, une fois débarrassée de cette pieuvre, que la Russie rétablisse des liens fédéraux et fraternels, avec la Biélorussie et l'Ukraine, et les républiques de l'Asie centrale. De la sorte, la Russie renouera avec son rôle traditionnel dans la restauration de l'unité symphonique du monde, contre les hégémonies, contre la scission du monde entre nord et sud, contre l'arasement des identités et des cultures.
Percevez-vous en Amérique latine, le continent rebelle en ce moment, qui a retrouvé un élan bolivarien dans l'affrontement avec les Etats-Unis, une force spirituelle particulière ?
Bien sûr, car depuis les années 1960, l'Amérique latine est à l'avant-garde de la rénovation de la pensée chrétienne, qui a été entreprise par Jean XXIII. L'encyclique «  Gaudem et spes » reste le texte prophétique de l'époque. Jean Paul II a voulu ramener l'Eglise catholique dans les rails de l'expansionnisme européen, c'est réaffirmé dans le Catéchisme officiel de 1992. Cela laissait les mains libres à la CIA pour infiltrer les églises, avoir l'œil sur les chrétiens critiques, les militants populaires et les leaders progressistes. Le journal de l'agent secret Philip Agee, Dix ans à la CIA l'a confirmé, de même que le tribunal Russel, réuni à Rome en janvier 1976, avec son rapport sur « la pénétration impérialiste dans les églises de l'Amérique latine ». Nelson Rockefeller, envoyé par Nixon pour observer le sous-continent le disait : « Les changements structurels dans la communication et l'éducation font de l'Eglise une force de changement décisive, et de changement révolutionnaire s'il le faut. » l'Amérique latine a donné des martyrs, Camilo Torres le Colombien, les dominicains torturés frère Betto et Tito de Alencar, au Salvador Mgr Romero et les six jésuites assassinés dans leur dortoir ; elle a donné aussi d'excellents théologiens, dont Ignacio Ellacuria, jésuite salvadorien assassiné, Leonardo Boff, Jon Sobrino, Hugo Asmann, Juan Luis Segundo, Rubén Alves, et le père de la théologie de la libération, Gustavo Gutiérrez ; mon grand ami l'évêque de Recife dom Helder Camara a donné un formidable élan à beaucoup d'autres. Comme l'écrit Enrique Dussel, la théologie de la libération est « un moment réflexif de la prophétie, qui naît de la réalité humaine, sociale, historique, destinée à penser, à partir d'une vision d'ensemble du monde, des rapports d'injustice exercés depuis le centre en direction de la périphérie des peuples pauvres. » Et les pauvres sont le lieu théologique par excellence d'où l'on peut comprendre la révélation divine qui a été faite aux hommes, et pour appréhender le sens du salut critique.
Dans votre livre figure aussi une forte condamnation du Vatican. Peut-on affirmer que vous rejetez toutes les religions sous leur forme institutionnelle ? Les religions africaines, en pleine renaissance, sont absolument décentralisées…
Au contraire, il ne s'agit pas de rejeter les religions qui se servent du mot « Dieu » dans son sens traditionnel, c'est-à-dire avec ses attributs de pouvoir et d'extériorité, mais de considérer chacune avec respect ; de voir dans leurs croyances propres et leurs rituels une expression symbolique de la recherche du divin, du salut des êtres humains, de tous les êtres humains, de leur accès à la plénitude par participation dans une totalité vivante, créatrice incessamment, dont chacun, à son échelle, est responsable. Aucune religion ne doit avoir la prétention de monopoliser l'absolu. Elles ne sont pas rivales mais complémentaires ; Il faut ajouter aux apports des théologies de la libération en Amérique du Sud et du Centre, à la renaissance de l'islam dans la mesure où il retrouve son universalisme matinal, la prise de conscience des valeurs traditionnelles de l'Afrique, qui agonise depuis des siècles par l'effet redondant de l'esclavage, du pillage colonial, de la spéculation de capitalistes étrangers.
Vous n'êtes pas seul dans votre tentative pour harmoniser une politique de justice sociale étendue au monde entier avec les valeurs les plus universelles, dont les religions veulent être les conservatoires. La sensibilité écologique, née dans le climat de ferveur spirituelle allemande des années 1930, a souvent cette tonalité exaltée, panthéiste. Pensez-vous aussi que sur ce terrain l'Occident a perdu l'initiative de l'imagination, comme semble l'indiquer la teneur des grandes conférences mondiales pour la préservation de l'écosystème ?
Il faut commencer par reconnaître la riche unité entre la nature, l'humain et le divin. C'est à partir de ce que j'appelle la « civilisation des tropiques » que peut naître un monde nouveau, plus que de toute autre source ; nous n'avons le choix qu'entre le suicide planétaire, si nous continuons à obéir aux lois actuelles de la domination américaine, et une authentique résurrection. L'entreprise conjointe de la Chine et de l'Iran, de construire un pont euro-asiatique, est fondamentale, et ils associent déjà à leurs projets l'Amérique latine et l'Afrique.
Face à ce que vous appelez le « suicide planétaire », comment la « civilisation des tropiques » peut-elle rayonner ?
Il faut lire les Brésiliens, Gilberto Freyre le fondateur, avec son livre L'Homme, la culture et les tropiques , et lire Bautista Vidal, qui parle du « défi amazonien », puis Sergio de Salvo Brito, qui a prouvé qu'il est possible de fonder une civilisation mondiale basée sur des ressources énergétiques renouvelables, ce qui n'est pas en réalité un problème de technologie, mais de géopolitique. Voilà la civilisation alternative à l'actuelle anti-civilisation basée sur la croissance, qui n'est que la croissance des profits, ce qui entraîne pillage des ressources énergétiques, et distorsion actuelle de la politique internationale autour du pétrole. Toutes les guerres des Etats-Unis sont inspirées par la volonté de contrôler toutes les sources possibles du pétrole. La [première] guerre du Golfe a permis de prendre le contrôle de la production pétrolière de l'Irak, et, sous prétexte de « protéger l'Arabie saoudite », d'en faire un Etat vassal. Les embargos contre l'Iran et la Lybie visent aussi le pétrole. Les interventions destructrices en Europe, depuis la Bosnie jusqu'au Kosovo, avaient pour but le contrôle de l'Europe orientale, pour ensuite faire main basse sur les pétroles de Bakou et de la mer Caspienne, avec des bases aériennes chaque fois plus proches. Israël sert à exercer une tutelle sur la Turquie et l'Egypte, le pays qui reçoit les subventions les plus élevées des Etats-Unis, après Israël ! Les effets secondaires du détournement des ressources énergétiques mondiales conduisent au clivage du monde, tant que le pétrole continue à se négocier en dollars, qui servent à financer un illusoire « développement » à l'occidentale, basé sur la corruption des classes dirigeantes.
Des raisons d'espérer, devant le « naufrage du vaisseau Terre » qui se prépare ?
En choisissant de faire reposer leur prospérité sur des sources d'énergie non renouvelables, les maîtres (provisoires) du monde ont condamné eux-mêmes leur domination à être éphémère. Le pétrole peut leur accorder encore une vingtaine d'années mais guère plus, même si de nouveaux gisements exploitables étaient découverts, et à condition de continuer à exclure les deux tiers du monde de la consommation orgiaque que pratiquent les sept pays les plus riches au monde. Trois mesures peuvent être décisives : d'abord, que les dirigeants des pays producteurs de pétrole vendent celui-ci en monnaie locale, de façon à générer des phénomènes en chaîne qui pulvérisent l'hégémonie du dollar ; ensuite, que l'Assemblée générale de l'ONU oblige les Etats-Unis à payer sa propre dette, qui est la plus monstrueuse au monde, et enfin, il faut taxer de façon drastique la spéculation financière. Tout cela est possible si apparaissent de nouveaux centres de pouvoir qui s'appuient sur les peuples. Car cinq siècles de colonisation et un demi-siècle de dégâts causés par le FMI n'ont pas détruit, dans le cœur des multitudes, le sentiment de la dignité, de la communauté, et du don de soi-même, dont la victoire de Gandhi, malgré son martyre final, reste, encore et toujours, l'exemple éblouissant.

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Hommage à Roger Garaudy

Tribune Libre - Boudaoud Hammou

La faillite multidimensionnelle à la quelle est arrivé le monde exige qu’une réflexion profonde soit enclenchée, elle servirait à nous permettre de prendre conscience de nos actes et se rendre compte que la marche à l’abîme s’accélère, c’est le message que le philosophe Roger Garaudy a voulu transmettre avec insistance dans son ouvrage Appel aux vivants (1).

« Je ne reconnais pas l’imam à son turban, le prêtre à sa croix, le rabbin à sa kippa » ; ce sont les mots, du dernier poème, des dernières pages, du denier ouvrage de Roger Garaudy, Le terrorisme occidental (2).

Homme de foi, philosophe et homme politique, Garaudy a laissé derrière lui un héritage intellectuel digne de ce non. Comme l’a superbement exprimé le poète arabe El Motanabi, exaltant son propre talent : « Je dors pleinement ma nuit, et derrière moi les gens se disputent sur la véracité de mes mots ».

Garaudy peut dormir sereinement dans sa dernière demeure, sa philosophie sera forcement reprise, critiquée ou développée même de manière plus exhaustive par des générations futures, car elle fut humaniste, donc universelle, non seulement par les musulmans dont ce philosophe a tenté de chambouler les schèmes de pensée en posant des questions essentielles et en combattant de manière objective l’intégrisme qui n’a fait que freiner l’élan, voire rétrécir l’étendue intellectuelle et l’esprit tolérant de l’islam ; le combat de l’auteur s’étale tout au long des cultures et des religions et, plus précisément, les religions monothéistes : Islam, Christianisme et Judaïsme. Garaudy l’exprime ouvertement dans la première page de son ouvrage, Les mythes fondateurs de la politique israélienne (3) : « Les intégrismes, générateurs de violences et de guerres, sont une maladie mortelle de notre temps ». L’auteur dénonce avec preuve l’hérésie de la politique sioniste consistant à substituer au Dieu d’Israël l’Etat d’Israël à l’aide des porte-avions américains et l’initiative de Théodore Hertzel soutenu par l’organisation sioniste mondiale. Dans son livre, Grandeur et décadence de l’islam (4), Garaudy dénonce l’épicentre de l’intégrisme musulman : l’Arabie saoudite. « J’ai désigné le Roi Fahd, complice de l’invasion américaine au Moyen Orient, comme ‘‘prostituée politique’’ qui a fait de l’islamisme une maladie de l’islam ». Deux ouvrages consacrés à l’intégrisme chrétien également ; Vers une guerre de religions (5) et Les fossoyeurs : un nouvel appel aux vivants (6), où Garaudy dénonce l’intégrisme chrétien de Saint Paul. Pour reprendre l’expression de Dominique Urevoy, développée dans son livre, Libres penseurs de l’islam classique, est-il possible de considérer Roger Garaudy tel un libre penseur moderne ?

En effet, Garaudy a remis en cause la philosophie occidentale aussi bien du point de vue de son fondement que de ses conséquences. D’abord ses fondements où l’auteur s’est permis, pour faire mienne l’expression de Raymond Aron, de faire des acrobaties intellectuelles ; il a critiqué acerbement le postulat de Faust : le primat de l’action et du travail. « C’est en agissant sans relâche que l’homme déploie toute sa grandeur, l’homme par son cerveau tout puissant devient un dieu ; l’auteur a précisé que les révolutions bourgeoises ont été faustiennes, celle de Cromwell, celle de l’indépendance américaine et celle de Robespierre. Puritains et jacobins ont eu la religion du travail, le marxisme est de ce terreau de l’Occident ». Marx, selon Garaudy, doit à la philosophie classique allemande, de Fichte, de Nietzsche ou de Hegel « ce primat de l’action comme création continuée de l’homme par l’homme ; de l’économie politique anglaise d’Adam Smith et de Ricardo qui ne voyait pas en l’homme qu’un travailleur et qu’un consommateur, il tire de Saint Simon, apôtre de la société industrielle, une vision faustienne du socialisme » (7). Garaudy déplore l’absence des fins et la domination de la logique du marché : produire, produire, l’utile, l’inutile, le nuisible même le mortel ; le scientiste et le technocrate ne posent jamais la question du pourquoi mais toujours du comment.
Le deuxième postulat est celui du primat de la raison qui peut résoudre tous les problèmes matériels et spirituels. « C’est la caractéristique du grand rationalisme, celui de Spinoza ou de Hegel, pour qui la raison résout le problème des fins – ou du petit rationalisme –, celui du positivisme d’Auguste Comte pour qui, la raison résout le problème des moyens ». Pour leur répondre, Garaudy propose la sagesse de Gandhi : « La fin et les moyens sont des termes convertibles […] La fin vaut ce que valent les moyens, les moyens sont comme la graine et la fin comme l’arbre, on récolte exactement ce qu’on sème, c’est pourquoi si nous sommes attentifs aux moyens, nous sommes sûr d’attendre les fins. » (8)
Garaudy, penseur libre, critique vis-à-vis de tout dépassement et extrémisme, a mis à l’épreuve la philosophie occidentale excessive concernant l’exaltation du soi ; il a développé une nouvelle forme de pensée, une philosophie à l’objectivité sans faille en proposant la philosophie de l’acte à la place de la philosophie de l’être. « Si j’embrasse aujourd’hui d’un regard la totalité de ma vie, écrit Roger Garaudy, ce qui en fait l’unité, dans la diversité de ces recherches, c’est ce passage de la philosophie de l’être à la philosophie de l’acte » (9). Mais, Garaudy épris par l’idée de la philosophie de l’acte, cherche à comprendre la nature de cet acte : « La recherche angoissante et passionnée de Dieu qui n’est pas un être mais un acte, l’acte de créer, l’acte qui fait être et auquel nous sommes chaque jour appelés à participer. » (10)

Garaudy pense que l’Occident qui croit avoir raison sur tout, hégémonique sur tout, a conduit l’humanité à l’impasse ; il l’exprime ainsi : « L’Occident est un accident ; il a cassé le monde en trois cessions ». La première cession s’est produite « au VIe et Ve siècles avant l’ère chrétienne. Elle se fonda en exceptionnalisme grec et en exceptionnalisme juif. Oublieux de leur emprunt à l’Asie – comme plus tard à l’Afrique et au reste du monde –, ils considéraient comme barbares tout ce qui n’appartenait pas au monde grec et ne parlait pas sa langue, créant ainsi, de cet artificiel splendide isolement, le mythe du miracle grec… La deuxième cession, devenue une négation, une destruction et surtout une domination, de tout le reste du monde, de sa foi et de ses cultures autochtones, dura 15 siècles, ceux du colonialisme des nations chrétiennes même lorsque la réforme coupa en deux l’Europe : le nord protestant et le sud catholique… La troisième cession survint au milieu du XXe siècle, lorsque, après l’épuisement et la ruine de l’Europe entière, de l’Atlantique à l’Oural, par suite de deux guerres intra-européennes, l’axe du monde bascula : les Etats-Unis d’Amérique, enrichis par l’agonie de tous les peuples. » (11)

Partant d’un principe de dialogue des civilisations et de reconnaissance des autres cultures, Garaudy écrit dans ses mémoires, Mon tour de siècle en solitaire (12) : « Je suis venu à l’islam avec la Bible sous un bras, et le Capital de Marx sous l’autre. Je suis décidé à n’abandonner aucun des deux ».
Musulman dans l’âme, pour exprimer clairement ses idées et convictions, Garaudy y allait encore plus loin pour dire que la sagesse est le chemin des croyants ; elle lui appartient où elle se trouve, il exprime une ouverture d’esprit qui n’est pas étrangère à l’essence même de l’Islam, elle fut exprimée surtout par des philosophes musulmans tels Al Kindi ou Ibn Ruchd qui dit : « De ce que quelqu’un erre ou bronche dans l’étude (des livres anciens), soit par faiblesse d’esprit, soit par vice de méthode, soit par impuissance de résister à ses passion, soit faute de trouver un maître qui dirige son intelligence dans ces études…, il ne s’ensuit pas qu’il faille interdire ce genre d’études à celui qui en est apte. Il nous faut, lorsque nous trouvons chez nos prédécesseurs des nations anciennes une théorie réfléchie de l’univers, conforme aux conditions qu’exige la démonstration, examiner ce qu’ils en ont dit, ce qu’ils ont affirmé dans leurs livres. Si ces choses correspondent à la vérité, nous les accueillerons à grande joie, et leur en serons reconnaissants. Si elles ne correspondent pas à la vérité, nous le ferons remarquer, mettons les gens en garde contre elles, tout en excusant leurs autres. » (13)
Comme l’avait exprimé Rachid Boujedra, en répondant aux questions d’Amine Zaoui sur la problématique de la modernité : « Nous étions plus moderne que maintenant ».  Garaudy nous donne deux enseignements ; si on veut être moderne, il faut éviter deux choses préconise-t-il : « L’imitation de l’Occident et l’imitation du passé ». Il précise « qu’avec les hommes qui ont eu le génie de résoudre, à partir de la révélation éternelle du Coran, les problèmes de leur époque. Alors que nous ne pouvons résoudre les problèmes de la notre en nous contentant de répéter leurs formules, mais en nous inspirant de leurs méthodes. Revenir aux sources, ce n’est pas renter dans l’avenir à reculons » (14). Cette modernité implique une ouverture d’esprit que Garaudy a toujours défendue ; elle est l’essence même de toute réflexion intellectuelle acceptable car elle nous ramène à la sagesse, à l’expérience et à la méthode.

Mon expérience du marxisme, écrit Garaudy, « m’a appris que le déterminisme selon lequel l’avenir n’est que le prolongement nécessaire du passé, ne pouvait fonder qu’une doctrine conservatrice, à la manière de l’empirisme organisateur de Charles Murasse ; une révolution a plus besoin de transcendance que de déterminisme ». Mon expérience de musulman « m’a appris les exigences, ou plutôt les sacrifices qu’implique la communauté. Tout individualisme, même codifié dans des déclarations des droits de l’homme, ne conduit qu’à la jungle d’égoïsmes affrontés où chacun est le concurrent et le rival de tous ». Mon expérience de chrétien « m’a enseigné que Jésus n’est pas ce Christ tout puisant que l’on déduit de ce que l’on croit savoir que Dieu pour en faire le fils de Yahvé, Dieu des armées et de la vengeance, ou de Zeus qui brandit la foudre. Il nous a au contraire montré, par ses actes, ses paroles et sa mort, que la transcendance peut émerger de l’impuissance même et l’amour : chaque être aimé devient une théophanie, une apparition vivante du Dieu. » (15)

Pour finaliser sa pensée, Garaudy opte pour un dialogue des civilisations après les avoir rappelées, chacune avec sa particularité propre et son apport au patrimoine de l’humanité ; il rappelle les occasions perdues qui pouvaient permettre à l’homme de vivre harmonieusement en dehors de l’esprit de haine et d’indifférence. Il rappelle l’expérience de Joachim de flore (1135-1202) qui refusait la prétention de faire de Jésus le Messie attendu par les juifs, et, par conséquent de faire de ce Christ le fondateur d’une Eglise judaïsée ; il rappelle également les tentatives de Thomas More (1478-1535) qui en suivant le développement de la société anglaise dans son fameux livre L’utopie, critique acerbement le passage de cette société de la féodalité au capitalisme marchand inauguré par l’industrie de la laine. Garaudy n’a pas oublié les tentatives des théologiens de libération en Amérique Latine, réflexion intéressante afin de mettre l’Eglise catholique sur les rails. Sans oublier les penseurs de la Nahda musulmane EL Afghani, Rachid Réda, Mohamed Abdou, Mohamed Iqbal et Ben Badis, Garaudy a précisé la perspicacité de Mohamed Abdou et sa tentative de rénover et lutter contre l’imitation aveugle du passé tout en trouvant une suite logique entre la raison (aql) et la révélation (naql). La raison, écrit Abdou, « n’est pas tenue d’admettre une impossibilité logique… Mais, si dans la prophétie, il y a quelque chose qui semble contradictoire en apparence, la raison doit se dire que le sens apparent n’est pas le vrai. » (16)

Finalement, comme futurologue et visionnaire, Garaudy nous précise que l’avenir est déjà commencé. « L’avenir a commencé le 7 mai 1996 à Pékin. Ce jour là, 34 nations étaient réunies pour participer à la construction du grand pont intercontinental eurasiatique. Une nouvelle route de la soie qui, pendant 14 siècles, avait liée l’Orient à l’Occident et à l’Afrique, non seulement par des échanges commerciaux mais par la fécondation mutuelle des cultures, des sciences, des techniques, et des spiritualités. » (17)

Hammou Boudaoud
24 juin 2012

Références :
(1) Roger Garaudy. Appel aux vivants. Le Seuil, Paris 1979.
(2) Roger Garaudy. Le terrorisme occidental. Al Qalam, 2004.
(3) Roger Garaudy. Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Al Fihrist, Beyrouth 1998.
(4) Roger Garaudy. Grandeur et décadence de l’islam. Afkar, 1996.
(5) Roger Garaudy. Vers une guerre de religions. Descelé de Brouwer, 1995.
(6) Roger Garaudy. Les fossoyeurs : un nouvel appel aux vivants. Archipel, 1992.
(7) Roger Garaudy. Pour un dialogue des civilisations. pp 33,34. Denoël, Paris 1977.
(8) Ibid. p 188.
(9) Roger Garaudy. L’avenir, mode d’emploi. p. 233. Le Vent du Large, 1998.
(10) Ibid.
(11) Ibid. pp 36,37.
(12) Roger Garaudy. Mon tour de siècle en solitaire.  p. 279. Al Fihrist, Beyrouth 1999.
(13) Abou Abid Al Jabiri, « L’islamisme. Pensée politique et sécularisation en pays d’Islam » in Les dossiers de l’Etat du monde. p. 27. La Découverte, Paris 1994.
(14) Roger Garaudy. L’Islam vivant. p 42. Al Fihrist.
(15) Roger Garaudy. L’avenir, mode d’emploi. p. 183-184. Le Vent du Large, 1998.
(16) Roger Garaudy. L’Islam vivant. p 48. Al Fihrist.
(17) Roger Garaudy. L’avenir, mode d’emploi. p. 353. Le Vent du Large, 1998.







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