Une nouvelle étape dans la surenchère islamophobe  a été franchie  avec le maire UMP de Venelle, Robert Chardon  qui dans un Tweet propose "d'interdire le culte musulman en France." Deux de ces messages directement déposés sur le compte ouvert par Nicolas Sarkozy pour accueillir les questions des Français en vue de son interview sur le réseau social  ce vendredi 14 mai rapporte Le Monde.

Le quotidien du soir rappelle que  depuis quelques mois, traité pour un cancer de la bouche, Robert Chardon avait mis un frein à son activité politique tout en conservant ses mandats. Arrivé au poste de maire en 2012, à la suite du décès de son prédécesseur, M. Chardon a été réélu en mars 2014 avec 55 % des voix. A la communauté de communes du Pays d’Aix, ses collègues conseillers confirment son absence lors des dernières assemblées plénières. Au téléphone, M. Chardon a la voix mal assurée. Il évoque d’abord sa maladie, puis explique : « Pendant mon traitement, j'ai beaucoup réfléchi et j'en suis arrivé à cette conclusion. Il faut interdire l’islam en France, mais aussi déclencher un plan Marshall pour permettre à ceux qui veulent pratiquer la religion musulmane de le faire dans leurs pays d’origine. »

Les Républicains contre l’Islam

S’il est une question qui fait aujourd’hui consensus, c’est bien celle du traitement de l’Islam. Les diatribes de Nadine Morano sur le péril islamique ou l’annonce de Nicolas Sarkozy de vouloir légiférer une énième fois à propos du port du voile font sinistrement écho au laïcisme de Manuel Valls. Cette union sacrée de la classe politique contre le « péril islamique » conduit à toutes les surenchères. Mention spéciale à Christian Estrosi qui n’a pas hésité à affirmer que la France « était en guerre contre l’Islam ».
La question musulmane plus préoccupante que les tensions géopolitiques avec la Russie, l’effondrement économique de la zone euro, la crise écologique, l’accroissement continu du chômage en France ? Si l’on en croit les Républicains qui en ont fait le thème de leur première journée de travail, la réponse est oui. Selon Henri Gaino, qui a défendu cette priorité en fustigeant « le terrorisme des bien-pensants », l’Islam « nous pose un problème qu’il faut régler« . La fabrication du « problème musulman » est bien utile aux élites politiques pour faire diversion sur les sujets économiques sans doute plus graves… mais surtout plus difficiles à traiter. Il est plus délicat de s’en prendre à la finance qu’aux étudiantes voilées et la recette du bouc émissaire continue de faire ses preuves. Mais cette stratégie du rideau de fumée n’explique pas totalement la rupture bien consommée d’avec la relative tolérance dont bénéficiaient les populations maghrébines au début des années 1980, à une époque où la France était déjà en crise. L’ennemi intérieur musulman est né du tournant néoconservateur du début de la décennie 2000. Dans le sillage de la guerre contre le terrorisme, la nouvelle laïcité a fait de l’Islam une menace non seulement pour les institutions républicaines mais pour la civilisation judéo-chrétienne elle-même. En un peu plus de 10 ans, la théorie du choc des civilisations est devenu l’idéologie officielle des élites occidentales.
Lv83NTT
Tous unis contre l’Islam ! et, comme on l’a déjà constaté à l’occasion du vote de la dernière loi antiterroriste, la conversion sécuritaire de la gauche, par un effet de banalisation, ouvre la porte à toutes les dérives. Le nouveau parti de Nicolas Sarkozy a consacré sa première journée de travail (à huis clos) à la question de l’Islam, sous-entendant que le gouvernement actuel fait sur cette question preuve de laxisme. Cette initiative a suscité l’inquiétude de l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF) ainsi que celle du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), pourtant une institution créée par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, qui redoute une « stigmatisation » de la deuxième religion de France et a appelé au boycott de cette réunion. Il est vrai que Nicolas Sarkozy ne fait pas mystère de son hostilité à l’Islam quand il prône l’interdiction du voile à l’université et des menus de substitution dans les cantines. Des propos annonciateurs de ce qui sera sans doute la politique de la droite quand elle reviendra aux commandes.
Islamophobie, toujours plus !
Car l’heure est bien à la surenchère. Manuel Valls juge que l’interdiction du port du voile à l’Université n’est pas d’actualité ? Eric Ciotti propose d’étendre aux établissements publics d’enseignement supérieur le champ d’application de la loi du 15 mars 2004 interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les écoles, collèges et lycées publics, jugeant que la situation dans les facs serait devenue « intolérable » en raison d’une « montée de revendications religieuses et communautaristes ». Dans la même veine, Nadine Morano s’attaque avec vigueur à l’Islam sans même avoir recours à l’alibi de la laïcité puisqu’elle fustige également les « laïcards extrémistes (…) qui sous couvert de la laïcité voudraient mettre à mal nos traditions et notre culture, ceux qui s’en prennent à une crêche dans un établissement public ». Pour elle, il s’agit bien d’une guerre de civilisation opposant l’Islam au monde judéo-chrétien : des « réseaux infiltrés » sont là « pour vouloir détruire notre civilisation, notre culture, notre façon de vivre ». « Ce sont des gens obscurantistes qui rêvent d’une guerre de religions » qui est déjà « évidemment » en cours a-t-elle déclaré au forum de Radio J. Propos tout en nuances auxquels font écho ceux de Christian Estrosi affirmant sur France 3 que la France devait faire face à des « cinquièmes colonnes islamistes » (sic), « des ennemis de la France qui ont une carte d’identité française », et qu’une « troisième guerre mondiale » était déclarée à « la civilisation judéo-chrétienne » par « l’islamo-fascisme », oubliant au passage que les premières victimes de l’islamisme… sont les musulmans eux-mêmes. Mais ce discours, au-delà de ses approximations et de ses outrances, ne fait que radicaliser le paradigme d’une nouvelle conception de la laïcité aujourd’hui dominante.
Le tournant de 2003.
Selon Raphaël Liogier, la « grande bifurcation » (à partir de laquelle l’islamisation est posée par les responsables politiques comme un problème majeur) a lieu en France en 2003 à l’époque de l’intervention américaine en Irak. C’est à cette période que naissent l’ensemble des associations anti-islamisation comme l’Observatoire de l’islamisation, le Bloc Identitaire, Riposte Laïque ou encore Ni Putes Ni Soumises. C’est aussi en 2003 que François Baroin rendra, à la demande du Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin, un rapport dans lequel il propose une nouvelle conception de la laïcité. Suivant l’une des conclusions de cette commission, Jacques Chirac se prononce en faveur d’une loi interdisant le port de signes religieux « ostensibles » par les élèves dans les établissements scolaires publics. Cette loi est adoptée le 15 mars 2004 et appliquée à partir de la rentrée 2004. Elle sera suivie par d’autres qui contribueront à exclure les manifestations visibles de la religion musulmane d’un nombre croissant de lieux publics.
La défense d’une nouvelle laïcité est présentée dans le rapport Baroin comme une réaction nécessaire face au développement du communautarisme et à l’action des fondamentalistes, afin de défendre les valeurs de la République.  Exit le multiculturalisme, place à l’assimilationnisme :
« La laïcité a été en effet progressivement remplacée au panthéon des valeurs de la gauche par la défense des différences culturelles et du communautarisme. Cette tendance s’inscrit dans le cadre de la promotion des droits de l’homme comme valeur dominante de la gauche. Elle se traduit par une mauvaise conscience vis-à-vis de l’héritage colonial de la France et un besoin de réparation (thème de la « repentance »). La liberté d’expression et la reconnaissance des différences sont privilégiées par rapport à d’autres valeurs comme l’autorité du maître, la mission d’éduquer et l’émancipation de la personne ».
Ce rapport considère le voile islamique davantage comme « un attribut des fondamentalistes s’inscrivant dans un modèle de société fondé sur une logique de ghetto et hostile aux valeurs de la démocratie » que comme un simple signe d’appartenance religieuse. Faisant tout de même la différence entre Islam et islamisme, il préconise de s’appuyer sur les musulmans intégrés pour lutter contre la menace de l’islamisation, de l’implantation dans notre pays d’un Islam fondamentaliste qui conteste les principes mêmes de l’organisation de notre société :
« Ce contre discours doit être porté par des personnalités issues de l’immigration. La nomination de plusieurs ministres issus de ces rangs a été un premier signe encourageant. Il revient à l’actuelle majorité de créer de vraies élites républicaines issues de l’immigration dans tous les domaines (politique, économique et social). C’est une condition de la reconquête des territoires perdus de la République ».
La Nouvelle Laïcité, un principe discriminatoire au service du choc des civilisations
En faisant d’un principe juridique une « valeur de civilisation » et en promouvant une conception quasi-religieuse de la laïcité, ce glissement ouvre la voie à toutes les dérives islamophobes. La pratique religieuse des musulmans, devenue véritable phobie collective, est perçue à la fois comme un signe d’obscurantisme et un problème menaçant l’identité nationale. Les partisans de l’interdiction du voile s’appuient sur une conception émancipatrice de l’instruction et sur une vision dévaluée du signe religieux opposé au progressisme et au scientisme de la philosophie des Lumières. Comme l’affirme Claude Guéant, « toutes les civilisations ne se valent pas » et l’Islam, de par sa nature conquérante, représenterait une menace pour l’Occident judéo-chrétien. Reprenant cette conception dévoyée de la laïcité, les politiques surfent depuis 10 ans sur le fantasme de l’islamisation, traduction française de la théorie néoconservatrice du choc des civilisations remise au goût du jour par Samuel Huntington. Les débouchés politiques en sont connus : stratégie du bouc émissaire et discrimination socio-ethnique, justification des guerres de l’Occident contre le monde musulman sous couvert d’éradication du djihadisme. Ce tournant idéologique, initié par la droite chiraquienne, est poursuivi par le gouvernement actuel qui affiche sur ce point une remarquable continuité avec le précédent en achevant sa mue sécuritaire. L’étape suivante n’est pas difficile à deviner : surenchère laïciste et, pourquoi, appels à la guerre civile contre les musulmans présents sur le territoire national sous couvert de guerre contre le terrorisme islamiste et de défense des « valeurs républicaines ».
L’impasse néoconservatrice 
Idéologie dominante de l’après-guerre froide, le néoconservatisme sert les intérêts des élites occidentales en justifiant leurs projets discriminatoires et bellicistes. En revanche, les peuples dans leur immense majorité n’ont rien à gagner d’une guerre civile et/ou militaire contre le monde musulman. Loin d’être l’islamisation, la véritable menace est celle d’une confrontation avec l’Islam sur le modèle de la guerre des civilisations. Le refus de la guerre sans fin contre le terrorisme dont les racines socio-économiques sont constamment niées, coûteuse pour les deux camps, trace la seule voie praticable : renouer avec une conception tolérante, pacifiée et égalitaire de la laïcité et œuvrer pour une vraie réconciliation nationale avec les populations issues de l’immigration post-coloniale. Une politique à l’opposé de celle défendue par la droite et la gauche libérale.
Voir également sur ce site : un entretien à propos de mon dernier ouvrage « La République contre les libertés« .
Rejoignez-moi sur facebook et twitter !

 

Nicolas Bourgoin

Nicolas Bourgoin, né à Paris, est démographe, docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et enseignant-chercheur. Il est l’auteur de quatre ouvrages : La révolution sécuritaire (1976-2012) aux Éditions Champ Social (2013), La République contre les libertés. Le virage autoritaire de la gauche libérale (Paris, L'Harmattan, 2015), Le suicide en prison (Paris, L’Harmattan, 1994) et Les chiffres du crime. Statistiques criminelles et contrôle social (Paris, L’Harmattan, 2008).